Les cancers in situ

I-Définition  

Le carcinome in situ est défini comme une prolifération de cellules cancéreuses confinées à l’intérieur des canaux ou des lobules.

Dès que la membrane basale limitant ces canaux ou lobules est dépassée, il s’agit d’un cancer infiltrant :

les cellules tumorales vont se développer dans le tissu mammaire voisin et pouvoir se propager à des ganglions ou plus à distance pour donner des métastases.

II-Fréquence

La mise en place des programmes de dépistage et l’amélioration des techniques radiologiques et des appareillages ont conduit à une augmentation du nombre de proliférations néoplasiques intra-épithéliales diagnostiquées, souvent sur micro et macrobiopsies.

III-Les deux formes histologiques

Le carcinome in situ fait partie des proliférations mammaires intraépithéliales du sein définies dans la classification OMS 2012. Selon leur point de départ ils sont canalaires ou lobulaires. 

    A-Les carcinomes in situ de type canalaire  (CCIS) sont les plus fréquents (85 à 90 % des in situ) et  représentent 15 à 25 % des cancers du sein.  

        1-Circonstances de découverte

Avec un pic d’âge entre 40 et 60 ans, ils s’accompagnent dans 80% des cas de microcalcifications et sont donc souvent de découverte mammographique.  Dans les autres cas, ils sont découverts fortuitement sur des biopsies découvertes pour d’autres raisons.

        2-Signification

On les considère comme des  états précancéreux car ils deviennent invasifs dans 30 à 50% des cas, mais donc pas toujours.

        3-Cliniquement

Seuls 10% des CCIS sont symptomatiques.  Il peut alors s’agir d’anomalie de palpation, d’un écoulement anormal du mamelon, d’une maladie de Paget du mamelon (voir: Formes particulières de cancers du sein) ou simplement d’une douleur localisée. La grande majorité est donc asymptomatique et sera découverte lors de mammograhies comme celles qui sont proposées dans le cadre du dépistage.

        4-Imagerie

Les microcalcifications sur la mammographie sont le symptome clé des CCIS bien que certains n’en contiennent pas. Elles sont parfois associées à une surdensité des parties molles environnantes, parfois stellaire, ou une distorsion architecturale. Les images classées ACR 4 ou 5 doivent être biopsiées. Elles sont détaillées au chapitre Mammographie.

En échographie, la majorité des CCIS n’ont pas d’aspect caractéristique.

    B-Les carcinomes de type lobulaire (CLIS) représentent 10 à 15 % des in situ. 

        1-Circonstances de découverte

Sans signes cliniques, ils sont découverts sur une mammographie ou le plus souvent de façon fortuite  suite à une biopsie demandée pour d’autres raisons.  Ils peuvent se trouver au voisinnage de microcalcifications atypiques. De façon rare on peut les trouver dans des fibroadénomes.

        2-Signification

Les lobulaires in situ représentent un processus porolifératif néoplasique de l’épithéluim ductolobulaire à développement très lent puisque le risque de développer un invasif dans le même sein ou même dans l’autre a été estimé entre  5 et 23% au bout de 15 ans. Il faut donc les considérer  comme des facteurs de risque, pour les deux seins, plutôtqu’une lésion préliminaire. Le risque de passage à l’invasif  va dépendre de l’âge, de l’étendue de la lésion, du diagnostic répétitif de carcinome lobulaire in situ et de la taille et du polymorphysme du foyer. Lorsqu’ils deviennent invasifs ils sont canalaires dans 60% des cas, lobulaires dans 25% ou tubulaires dans 15%.

        3-,Cliniquement il n’y a  aucune anomalie caractéristique.

        4-Imagerie

Il n’y a pas d’image mammographique caractéristique car rien ne les distingue du tissu glandulaire des mastopathies ou du tissu normal. Une asymétrie ou des microcalcifications sont rarement découvertes à la mammographie. Lorsqu’il y a des microcalcifications, le carcinome  siège uniquement au voisinnage de ces calcifications et est donc de découverte fortuite.

Ils ne sont en principe pas reconnaissables en échographie.

    C-D’autres sous types sont plus rares: apocrine, mucineux, neuro-endocrine, à cellules épidermoïde, fusiformes ou claires.

IV-Classification histologique

Le carcinome in situ fait partie des proliférations mammaires intraépithéliales du sein définies dans la classification OMS 2012 qui a remplaçé celle de 2003. C’est ainsi que les dénominations en DIN (ductal intraepithelial neoplasia) et LIN (lobular intraepithelial neoplasia) de la classification 2002 sont abandonnées. 

    A-Carcinomes canalaire

Pour les canalaires, l’évolution suit la progression suivante: hyperplasie simple ou atypique, métaplasie cylindrique simple ou atypique et le carcinome canalaire in situ. Pour les lobulaires: hyperplasie simple ou atypique et le carcinome lobulaire in situ. Mais il s’agit de lésions fréquemment intriquées avec un continuum évolutif.

On distingue plusieurs types de carcinome canalaire in situ, selon l’aspect morphologique des cellules et leur degré d’atypie :

            -carcinome canalaire in situ de bas grade, à noyaux monomorphes, peu augmentés de volume,

            -carcinome canalaire in situ de grade intermédiaire, à noyaux plus irréguliers et augmentés de volume.,

            -carcinome canalaire in situ de haut grade, à noyaux nettement irréguliers avec chromatine hétérogène, nucléoles et mitoses.

Ces lésions ont une tendance inhérente, mais non obligatoire à évoluer vers un carcinome infiltrant.

La présence de nécrose au sein des canaux est un élément péjoratif.

On décrit diverses formes architecturales:

            -Les comédocarcinomes sont les plus fréquents (30 à 50% des cas) . Ils sont caractérisés par une composante tumorale à dominante solide intracanalaire, avec formation de  zones de nécrose centrale qui se calcifient de façon caractéistique et qui occupent 50% du diamètre canalaire. Ils sont de haut grade avec un potentiel malin élevé. Sur le plan pronostique, les critères cytomorphologiques sont importants ainsi que la surexpression marquée de l’oncogène c-erb-B-2.

            -Les autres formes sont: solide, cribriforme, micropapillaire, papillaire.

    B-Carcinomes lobulaires

Les carcinomes lobulaires in situ correspondent à une prolifération néoplasique in situ faite de cellules tumorales non cohésives (définition OMS). Ils ont comme caractéristique la perte de l’expression membranaire de l’E-cadherine.

La terminologie en LIN (lobular intraepithelial neoplasia) est abandonnée dans la classification 2012 mais doit être rappelée en détail pour mémoire en ce qui concerne les lobulaires:

Les carcinomes lobulaires in situ appartiennent au spectre lésionnel des néoplasies lobulaires ; ils se distinguent de l’hyperplasie lobulaire atypique par des critères morphologiques et quantitatifs.

On identifie maintenant plus que deux formes: le carcinome lobulaire in situ classique, plus fréquent, et des variantes plus agressives.

        1-Dans la forme classique, la fréquence de survenue d’un cancer infiltrant est 20 à 30 %, mais avec un délai souvent long, supérieur à 15 ans, pouvant être observée dans le sein controlatéral dans 1/3 des cas.

        2-Les forme plus agressives, accompagnent fréquemment un cancer infiltrant découvert de façon concomitante (20 à 50 % des cas) et correspondent à :

        -la forme pléomorphe (ex-LIN 3 de type 2) sans ou avec nécrose,

        -la forme classique avec nécrose (ex-LIN 3 de type 3) révélée par des microcalcifications,

        -la forme floride débattue, correspondant à une forme extensive de carcinome lobulaire in situ réalisant une masse tumorale.

        -La variété à cellules en bague à chaton, extrêmement rare, n’est pas identifiée dans la classification 2012.

V-Diagnostic

Dans 90% des cas les lésions sont asymptomatiques et sont découvertes par des anomalies (microcalcifications ou masse radiologique) sur une mammographie  faite dans le cadre d’examens de dépistage, qu’il soit individuel ou organisé. 

Dans 10% des cas le diagnostic fait suite:

    -soit à la découverte d’une masse palpable qui sera biopsiée,

    -soit après l’exploration d’un écoulement sanglant du mamelon,

    -soit devant une maladie de Paget du mamelon (voir: Formes particulières de cancers du sein).

Dans tous ls cas, c’est la biopsie qui fait le diagnostic. 

En cas de microcalcifications BIRADS 4-5 isolées à la mammographie  une macrobiopsie stéréotaxique assistée par le vide (type mammotome) est recommandée. Voir: La radiologie interventionnelle. Un clip repère sera posé dans chaque site biopsié ;

En cas de microcalcifications BIRADS 4-5 à la mammographie et présence de cibles échographiques BIRADS 4-5  une microbiopsie échoguidée est recommandée en premier à la recherche d’une composante invasive. Si le résultat de la microbiopsie est bénin (à l’exclusion des lésions atypiques), une macrobiopsie stéréotaxique assistée par le vide, sur le signal calcique, est recommandée. 

Pour les autres types d’images mammographiques (masses, distorsion architecturale, asymétrie de densité), une échographie mammaire est recommandée. Le type de biopsie et le mode de guidage seront adaptés en fonction des aspects échographiques. 

VI-Traitement

    A-Carcinomes Canalaires
Le traitement  chirurgical est de préférence conservateur s’il est techniquement possible, ce qui est de plus en plus le cas grace aux techniques d’oncoplastie (Voir: oncoplastie), sinon la  mastectomie d’emblée est le traitement de référence. La faisabilité du traitement conservateur dépend de l’étendue et du nombre des lésions avec nécessité d’obtention de berges saines (≥ 2 mm) et d’un résultat esthétique satisfaisant.  En cas de mastectomie, une reconstruction immédiate doit être systématiquement proposée. Une mastectomie avec conservation de l’étui cutané et résection de la plaque aréolo-mamelonnaire, malgré l’absence d’études la comparant au traitement de référence, peut être proposée, en raison du bénéfice sur la qualité de vie.

Il n’y a pas d’extemporané ni curage axillaire. La recherche du ganglion axillaire  est réservée aux cas où une masse est palpable ou  si la mammographie fait suspecter des signes de micro-invasion. La suite du traitement dépend de l’analyse microscopique des marges en cas de traitement conservateur:

        -Si une marge > ou= 2mm est saine: radiothérapie (dose minimale de 50 Grays en 25 fractions, sans irradiation ganglionnaire. Une surimpression est possible dans le cadre d’essais cliniques.

        -Si la marge est insuffisante, il faut réintervenir pour soit une réexision, soit une mastectomie (de 2ème ou de 3ème intention).

En cas de récidive in situ après traitement conservateur: mastectomie avec reconstruction mammaire immédiate possible. Pas de geste ganglionnaire sauf si une infiltration est découverte sur la pièce de mastectomie.

En cas de récidive invasive après traitement conservateur: mastectomie + curage et traitements adjuvants et/ou radiothérapie à discuter. Reconstruction mammaire immédiate ou différée en fonction des traitements associés.

En cas de récidive in situ après mastectomie: excision au large avec berges saines. Pas de curage axillaire.  Une radiothérapie de paroi peut être discutée.

En cas de récidive invasive après mastectomie: Bilan loco-régional complet et  et stratégie à discuter.

    B-Carcinomes lobulaires

Pour les lobulaires la conduite à tenir est plus difficile à codifier car les études de la littératures sont souvent rétrospectives et portent sur de petits effectifs. Elle se réfère encore à la classification de 2003 divisée en trois catégories (LIN 1, LIN 2, LIN 3). 

         -LIN 1

Une surveillance est seulement recommandée, selon les mêmes modalités que les carcinomes canalaires in situ traités par chirurgie conservatrice. En cas de facteurs de risque (lésions histologiques à risque, antécédents familiaux ou personnels) ou de discordance radio-histologique (prélèvements biopsiques non représentatifs de l’image radiologique), une biopsie chirurgicale peut être envisagée.

         -LIN2

Biopsie chirurgicale puis surveillance. Pour les LIN 1 et les LIN 2, il n’y a aucune indication à réaliser une mammectomie, une radiothérapie ou une hormonothérapie.

        -LIN3

Le traitement initial repose sur une exérèse chirurgicale avec examen anatomopathologique de la pièce opératoire. La prise en charge est ensuite définie en fonction des résultats de cet examen. La surveillance est identique à celle des carcinomes canalaires in situ traités par chirurgie conservatrice.

Le tableau ci-dessous (issu des recommandations de l’INCa) résume la conduite à tenir dans les trois types de LIN 3.

Les situations dans lesquelles l’abstention chirurgicale est retenue doivent avoir fait l’objet d’une concertation entre chirurgien, radiologue et anatomopathologiste. Elles supposent l’absence de:

    – critères histologiques péjoratifs,

    –  signal radiologique non expliqué par la NL (image de masse ou image de désorganisation architecturale),

    –  microcalcifications résiduelles,

    –  antécédents familiaux importants ou personnels de cancer du sein.

Même dans ces situations, il faut être très prudent car ces critères ont été établis de manière rétrospective et n’ont pas été validés par des études prospectives.

Le fait d’avoir un CLIS est un facteur de risque de développer ultérieurement un cancer invasif. Un suivi médical rapproché s’impose donc. Il comprend une mammographie annuelle et un examen clinique des seins deux fois par an.

Un suivi rapproché des deux seins est important car une femme ayant un CLIS d’un sein a un risque équivalent de développer un cancer du sein du même côté ou du côté opposé.

Certaines femmes peuvent opter pour une mammectomie bilatérale simple, c’est-à-dire une ablation des deux seins sans curage des ganglions lymphatiques. Dans ce cas l’intervention a pour but de prévenir le développement d’un cancer invasif. Cette intervention, prophylactique, concerne surtout les femmes qui ont des facteurs de risque comme une forte hérédité de cancer du sein. Selon les préférences de la patiente, on peut réaliser une reconstruction mammaire immédiate ou retardée.

VII-surveillance des cancers du sein in situ traités 

    A-Surveillance après traitement conservateur

        -Examen clinique annuel.

        -Imagerie: première mammographie de contrôle à 6 mois de la fin de la radiothérapie adjuvante. Mammographie et échographie bilatérales annuelles. 

Pour les femmes jeunes, une surveillance clinique biannuelle les 5 premières années est recommandée.

Chez les patientes porteuses d’une mutation BRCA1/BRCA2 ou à haut risque de cancer du sein, une surveillance par IRM mammaire bilatérale annuelle est recommandée.
-Si la surveillance est difficile par mammographie et échographie (sein très dense ou très remanié et femme jeune < 40 ans), une surveillance par IRM mammaire peut être discutée.

    B-surveillance après mastectomie 

        -Examen clinique annuel

        – Imagerie : Mammographie et échographie controlatérales annuelles. 

Chez les patientes porteuses d’une mutation BRCA1/BRCA2 ou à haut risque de cancer du sein, une surveillance par IRM mammaire controlatérale annuelle est recommandée. 

Dans tous les cas:

– Aucun examen de recherche des métastases n’a de place dans la surveillance des CCIS traités. 

– Il n’y a aucune indication du dosage des marqueurs tumoraux sériques.