Hydramnios

I-Définitions cliniques 

L’hydramnios est un excès de liquide amniotique pendant la grossesse. Entre 1 et 2 litres de liquide amniotique, on parle d’excès de liquide et au-delà d’hydramnios.

On distingue :

-l’hydramnios chronique d’installation lente, tardive (3eme trimestre) et en quantité habituellement modérée et bien toléré. Il ne dépasse pas 5 litres. 

-l’hydramnios aigu, d’installation rapide, abondant et mal toléré sur le plan clinique: douleurs utérines, contractions utérines, gêne respiratoire.

II-Définitions échographiques

Le volume de liquide amniotique est relativement constant entre 20 et 40 semaines, alors que le poids fœtal passe de 400 à plus de 3 000 g. Le volume maximal de liquide est atteint entre sept mois et sept mois et demi (environ 800 à 1 000 ml). Au voisinage du terme on observe une décroissance absolue et relative du liquide (« oligoamnios physiologique »).

    1-Évaluation quantitative « à l’estime »

Cette méthode subjective est le plus souvent suffisante pour reconnaître un liquide normal ou abondant. 

    1-Évaluation biométrique « objective »

De nombreuses méthodes de mesure ont été proposées.

            a-La méthode de de Chamberlain

C’est la première méthode proposée et elle reste la plus utilisée en pratique. On considère que le liquide amniotique est normal si l’on peut trouver au moins une citerne de 1 cm ou plus de profondeur (axe vertical) sous réserve que la largeur soit d’au moins 1 cm. C’est la méthode la plus simple, la plus rapide, et elle est tout aussi subjective et imprécise que les autres. À l’usage, il faut relever la limite à 2 cm en faisant la moyenne de deux diamètres perpendiculaires et exclure le cordon de la mesure.

          b-Méthode des « quatre quadrants » de Phelan et Rutherford

Elle consiste à diviser l’utérus en quatre quadrants (centrés par l’ombilic, donc seulement deux quadrants avant 20 semaines). Dans chaque quadrant, on recherche la plus grande citerne dont on mesure la profondeur dans un axe vertical (par rapport au plan de la table d’examen) et l’on fait la somme des quatre valeurs (dont une ou deux peuvent être nulles) qui définit l’index amniotique. La présence du cordon exclut la citerne de la mesure pour certains auteurs, mais d’autres valident la citerne en mesurant le liquide au-dessus ou en dessous de l’image du cordon.

III-Physiopathologie

La compréhension de la physiopathologie de l’hydramnios permet de mieux orienter l’enquête étiologique. Les échanges d’eau entre le liquide amniotique et la mère sont estimés à environ 460 ml/h. La quantité de liquide est relativement constante, ce qui témoigne de la remarquable coordination de ses moyens de régulation. Dans la seconde moitié de la grossesse, la principale source de liquide amniotique est la diurèse fœtale, et la principale voie de réabsorption est la déglutition fœtale. Ces mécanismes de régulation ne sont cependant pas complètement élucidés. 

A-Production et réabsorption

    1-Avant 20 semaines

La cavité amniotique apparaît au 7e jour après la fécondation.. Au cours des premières semaines, le liquide amniotique est essentiellement un ultrafiltrat du plasma maternel. Entre 10 et 20 semaines d’aménorrhée, sa composition est isotonique au sérum maternel et fœtal. Ceci est lié aux échanges se produisant à travers la peau fœtale, non kératinisée, qui est alors perméable à l’eau, aux électrolytes et aux éléments biochimiques. La kératinisation de la peau débute vers 20 semaines pour s’achever à 25 semaines. Dès la fin du 1er trimestre, le rein fœtal est capable de réabsorber le sodium et de sécréter de petites quantités d’urine.

    2-Après 20 semaines 

Plusieurs éléments collaborent à la formation et à l’élimination du liquide amniotique. 

        a-Les deux principales sources de liquide amniotique sont :

            -la diurèse fœtale qui est la principale source de LA après 20 SA.  La régulation de la diurèse est dépendante de plusieurs hormones dont l’aldostérone, l’arginine vasopressine du système rénine-angiotensine et des prostaglandines. L’administration d’antiprostaglandines diminue la diurèse fœtale;

            -les sécrétions pulmonaires qui atteignent environ 200 à 300 ml/24 h en fin de gestation.

        b-Les deux principales voies de réabsorption sont :

            -la déglutition fœtale qui est le principal mécanisme de réabsorption. Le débit de déglutition est variable allant de 7 ml/j à 16 SA à 200-500 ml/j à terme. 

            – l’absorption dans le sang fœtal à travers la surface fœtale du placenta (voie intramembranaire). Cette voie jouerait un rôle de régulation important dans certaines situations telles que l’atrésie de l’œsophage.

B-Volume du liquide amniotique

Ce volume augmente progressivement jusqu’à 20 semaines avec un pic de production vers 22 semaines. Le liquide atteint un maximum vers 34 semaines pour ensuite diminuer progressivement. À proximité du terme, la quantité de liquide diminue très rapidement en lien avec une vitesse de production négative. Le volume de liquide amniotique est exprimé en percentile pour l’âge gestationnel. Il existe cependant des variations journalières, liées au rythme circadien de production, en particulier des urines fœtales.

III-Complications obstétricales de l’hydramnios

Les complications mécaniques de l’hydramnios sont la menace d’accouchement prématuré, la rupture prématurée des membranes au cours du travail la présentation dystocique, la procidence du cordon, l’atonie utérine, dystocie dynamique et plus exceptionnellement l’embolie amniotique.  

IV-Causes de l’hydramnios

L’hydramnios peut être la conséquence de nombreuses pathologies maternelles ou fœtales.

La fréquence et le type de pathologie et donc le pronostic vont être dépendants de la rapidité d’installation et de l’importance de l’hydramnios.

A-Pathologies materno-fœtales 

    1-Le diabète est la cause maternelle la plus fréquente d’un hydramnios. Cet hydramnios signe un mauvais contrôle de l’équilibre glycémique et est associé à une macrosomie fœtale.

    2-L’anémie fœtale, quelle que soit son origine (allo-immunisation érythrocytaire, infection par le parvovirus B19, plus rarement hémorragie foeto-maternelle ou alpha thalassémie homozygote)  peut s’accompagner d’un hydramnios. L’évolution de la pathologie se fera alors vers l’hydrops.

    3-Toute infection materno-fœtale (essentiellement toxoplasmose, parvovirus B19 et CMV)  peut être accompagnée d’un hydramnios

     4-Malformations fœtales 

Le risque d’anomalie est directement corrélé au volume de l’hydramnios.

        a-Les malformations du système nerveux central (anencéphalies, spina bifida, hydrocéphalies..). L’excès de LA est provoqué par une production liquidienne à travers les méninges éventuellement associée à une diminution des sorties par trouble de la commande de la déglutition. 

        b-Les anomalies de l’appareil digestif (atrésie de l’œsophage, sténose ou atrésie du duodénum pathologie obstructive du grêle, laparoschisis, omphalocèle, hernie diaphragmatique, pancréas annulaire, fente palatine …) représentent actuellement les causes les plus fréquentes. Ces pathologies retentissent soit directement sur la déglutition ou le transit gastrique, soit indirectement par compression extrinsèque. En cas d’anomalie de la déglutition, toute la production pulmonaire se déverse dans la cavité amniotique. 

        c-les pathologies cardiaques ou à retentissement cardaique. Plusieurs pathologies peuvent entrainer une insuffisance cardiaque. L’hydramnios représente alors un stade précoce de l’évolution vers un anasarque. On peut individualiser :

            -Les pathologies cardiaques proprement dites:

                . toutes les malformation structurales, en particulier sténosantes

                . les troubles du rythme (TSV, BAV)

                . les maladies métaboliques (maladie de Pompe, Newman-Pick)

                . exceptionnellement les tumeurs cardiaques (Bourneville)

                . myocardite primitive (parvovirus B19)

            – Les pathologies avec retentissement sur la fonction cardiaque

                . les anémies fœtales (incompatibilités érythrocytaires, parvovirus B19, hémorragie foeto-maternelle, alpha thalassémie homozygote, hémorragie intra tumorales) 

                . les compressions (chylothorax, kystes adénomatoides, tumeur médiastinale, hernie diaphragmatique, anomalies thoraciques des ostéochondropdysplasies). 

                .  les shunts : toute situation de shunt artério-veineux engendrant un travail cardiaque accru : syndrome transfuseur-transfusé, acardiaques, chorioangiomes, tératomes volumineux, anévrysme de l’ampoule de Gallien.

        d-Les pathologies pulmonaires. Les masses intrathoraciques (maladie adénomatoïde) et les épanchements pleuraux retentissent sur la dynamique cardiaque (apparition d’une insuffisance cardiaque puis d’une anasarque) et œsophagienne (compression extrinsèque : par exemple goitre fœtal).

        e-Les pathologies urinaires : les anomalies urinaires sont rarement en cause mais il a été décrit l’association avec la polykystose, l’hydronéphrose, l’hamartome  et le néphroblastome. Il existe, dans ce cas, une tumeur très importante qui, par le biais de phénomènes de compression, entraîne un anasarque et un hydramnios. Les anomalies fonctionnelles sont très rares ; mais la polyurie fœtale peut être à l’origine d’un hydramnios (syndrome de Bartter, diabète insipide)

        f-Pathologies neuromusculaires : elles sont responsables d’un immobilisme fœtal avec anomalies de la déglutition : syndrome de Pena-Shokeir, maladie de Steinert.

        g-Pathologie des grossesses gémellaires monochoriales:

            – Le syndrome transfuseur-transfusé entraine par définition l’association d’un hydramnios polyurique chez le receveur et d’un oligoamnios oligurique chez le donneur

            – L’acardiaque peut être responsable d’anasarque par effet shunt.

B-Les causes annexielles

Un chorioangiome placentaire peut être à l’origine d’un hydramnios , puis d’un anasarque par effet shunt. Certaines causes funiculaires peuvent également être évoquées (tumeurs, malformations, thromboses).

C-Causes indéterminées

Classiquement 30% des hydramnios sont considérées comme idiopathiques.  On peut noter le lien entre hydramnios inexpliqué et macrosomie fœtale souligné par certaines publications. 

D-Hydramnios et anomalies chromosomiques 

Le risque d’anomalie chromosomique est augmenté par l’association hydramnios et retard de croisance intra-utérin et bien évidemment hydramnios et anomalie morphologique.  En absence d’anomalie morphologique et en particulier lorsque l’hydramnios est modéré, le caryotype ne doit pas être systématique. Les éléments suivants : importance de l’hydramnios, qualité de l’examen échographique, résultat des tests de dépistage antérieurs et bien entendu l’avis de la patiente participeront à l’indication de ce caryotype. Aujourd’hui un diagnostic prénatal non invasif est possible.

V-Eléments de prise en charge

A-Prise en charge spécifique

Elle découle des résultats du bilan étiologique , de la tolérance maternelle à l’hydramnios et des risques de complication obstétricale. 

    – Une affection fœtale sévère amène à discuter une demande d’IMG lorsque cette demande est formulée par la patiente.  Une ponction évacuatrice préalable pourra parfois être utile. 

Une affection curable in utero (anémie fœtale, hydrothorax, syndrome transfuseur transfusé, acardiaque, TSV …) ou en période néonatale (affection accessible à un traitement médical ou chirurgical néonatal) entrainera une prise en charge spécialisée.

B-Prise en charge symptomatique

L’objectif est de réduire les conséquences mécaniques de l’hydramnios : inconfort maternel, menace d’accouchement prématuré et rupture prématurée des membranes, dystocie.

Deux traitements sont possibles :

    -Le traitement médical. Il fait appel aux anti-prostaglandines (Indocid, 100 mg/jour) qui diminuent la diurèse fœtale ainsi que la production de liquide pulmonaire. Ce traitement doit cependant être employé avec beaucoup de prudence étant donné les risques qu’il provoque chez le fœtus et le nouveau- né : fermeture prématurée du canal artériel responsable d’une hypertension pulmonaire, insuffisance rénale transitoire, inhibition de l’agrégation des plaquettes et nécrose ischémique du grêle.  

    -La (ou les ) ponctions évacuatrices. Le retrait de l’excès de liquide amniotique permet une diminution des signes de compression maternelle et des risques d’accouchement prématuré. Il s’accompagne également d’une amélioration du bien être fœtal par normalisation de pression du liquide. Cette évacuation  pourra se faire avec une aiguille de 18 Gauge.  Une tocolyse de principe pourra être prescrite .     

VI-Accouchement et délivrance

En dehors de la prise en charge spécifique liée à l’étiologie, l’accouchement par voie basse est le plus souvent envisageable. Il expose cependant à certaines complications plus fréquentes : la procidence du cordon et les présentations dystociques, l’hématome rétro placentaire par rétraction trop brutale du myomètre après vidange trop rapide ; la dystocie dynamique, l’exceptionnelle mais redoutable embolie amniotique et l’hémorragie de la délivrance par atonie.

A la naissance, un examen complet du nouveau-né est effectué à la recherche d’une anomalie passée inaperçue (en particulier perméabilité œsophagienne).  L’examen anatomique pathologique des annexes fœtales viendra compléter l’enquête étiologique.