I-Le terme idéal pour les jumeaux
Il semble que l’âge gestationnel idéal pour la naissance de jumeaux soit plus précoce que pour les grossesses uniques : 38 semaines d’aménorrhée pour les bi-choriales et 37 semaines pour les monochoriales. Au-delà de cette date, le risque de voir survenir une asphyxie fœtale de l’un ou l’autre des deux jumeaux pourrait augmenter. Césarienne ou voie basse ?
Cas où la césarienne s’impose même avant 38 semaines : grossesse mono-amniotique, obstacle ou placenta prævia, jumeaux conjoints, retard de croissance sévère avec asphyxie chronique, pré-éclampsie sévère.
Dans les autres indications, il s’agit d’une affaire d’école ou d’étude du dossier au cas par cas. Si l’on met à part le choix de la césarienne de principe dans toutes les situations de gémellaires (sauf avant le seuil de viabilité), différentes attitudes existent
– pour les cas où le premier fœtus est en siège,
-ou en cas d’utérus cicatriciel,
-ou en cas de naissance inévitable avant 32 semaines d’aménorrhée ou poids d’un fœtus estimé à moins de 1 500 g.
II-Management de l’accouchement par voie basse
A-Le contexte organisationnel
En cas de naissance prématurée ou d’enfant de petit poids de naissance prévisible, il est certain que la prise en charge obstétricale doit être effectuée dans une maternité de type adapté à l’âge gestationnel. En cas de grossesse gémellaire sans pathologie particulière l’accouchemnt peut être réalisé dans n’importe quelle maternité mais aux conditions suivantes :
-présence de l’anesthésiste au moment de l’accouchement et analgésie péridurale fortement recommandée ;
-possibilité de recours rapide (moins de 15mn) à la salle de césarienne ;
-échographe présent en salle d’accouchement ;
-équipe obstétricale connaissant les manœuvres de version et d’extraction par le siège.
-personnel pédiatrique et matériel permettant la réanimation simultanée de deux nouveau-nés.
B-Le recours au déclenchement
Dans les cas où l’option « accouchement par voie basse » a été choisie, il est préférable d’opter pour un déclenchement du travail. Si le col de l’utérus est favorable, il paraît normal de proposer à partir de 38 SA, un déclenchement à l’ocytocine avec rupture précoce de la poche des eaux de J1 et à 37 semaines pour les monochoriales. (voir le chapitre : « la programmation de l’accouchement ». En cas de col non favorable, il ne faut pas dépasser 39 semaines pour les bi-choriales et 38 semaines pour les monochoriales. A partir de ces dates, situation peu fréquente pour des gémellaires, certains s’autorisent la maturation cervicale par prostaglandine, d’autres préfèrent la césarienne à un déclenchement hasardeux.
C-L’accouchement du premier jumeau
La surveillance du travail et l’accouchement du premier jumeau en présentation céphalique n’ont pas de particularité par rapport à ceux d’un enfant unique. Le recours à l’anesthésie locorégionale, la régularisation de l’activité utérine par l’ocytocine, la pratique d’une extraction instrumentale, la mécanique obstétricale, sont tout à fait similaires. La seule différence est représentée par la surveillance simultanée des deux rythmes cardiaques fœtaux. Il est ainsi possible de décider une naissance beaucoup plus rapide de J1 (soit par voie basse, soit par césarienne) s’il semble exister des signes de mal-être fœtal de J2 en cours de travail.
Si la voie basse a été acceptée en cas de premier jumeau en présentation du siège, là encore, les modalités de surveillance du travail et de l’accouchement sont superposables à celles du singleton en présentation du siège.
D-L’intervalle libre
Il s’agit de la période de temps qui sépare l’accouchement du premier jumeau de celui du deuxième. Cet intervalle doit être le plus court possible et l’accouchement de J2 devrait être réalisé dans les 5 minutes qui suivent l’accouchement de J1. Les manœuvres pour réaliser l’accouchement de J2 sont donc immédiates sauf en cas de présentation céphalique fixée ou engagée.
Dès la naissance de J1 on arrête l’ocytocine et on renforce la péridurale afin de permettre d’éventuelles manœuvres intra-utérines (injection de 10ml de lidocaïne à 1% dans le cathéter de péridurale). On vérifie le type et la hauteur de la présentation par le toucher ou l’échographie. Un dérivé nitré en spray doit être prêt à l’emploi, ou Trinitrine 100 à 300 microgrammes IV, en cas d’hypertonie utérine ou de rétraction du col. En cas de présentation céphalique engagée ou fixée de J2 on reprend la perfusion d’ocytocine, on rompt les membranes et on procède à l’accouchement spontané ou par extraction instrumentale.
E-L’accouchement du second jumeau
Très schématiquement, quatre situations sont possibles : les deux premières sont faciles, les deux autres plus délicates :
-J2 est en présentation céphalique, la présentation est appliquée, la dynamique reprend rapidement : on va rompre prudemment la poche des eaux et procéder à l’accouchement en guidant les efforts expulsifs de la parturiente. Une extraction instrumentale est possible sur le deuxième jumeau ;
-J2 est en présentation du siège : la rupture des membranes doit être prudente, contrôlée en laissant une main en intravaginal pour diminuer le risque de latérocidence ou de procidence du cordon. Soit J2 progresse facilement et ce sera une manœuvre de Lovset qui terminera l’accouchement, soit il faudra sans hésiter saisir le pied antérieur et pratiquer une grande extraction de siège qui est une manœuvre facile sur le deuxième jumeau ;
-J2 est en présentation transverse : il faut, face à cette situation, intervenir rapidement. À membranes intactes, une version par manœuvre interne grande extraction du siège permettra, en saisissant les deux pieds du jumeau la naissance par voie basse ;
-J2 est en présentation céphalique haute et mobile, les efforts expulsifs ne permettent pas à la tête de s’engager dans le bassin, la dynamique est médiocre. Il faut envisager la version par manœuvre interne doublée d’une grande extraction du siège. Celle-ci est plus facile si la poche des eaux est intacte mais la rupture artificielle des membranes a souvent déjà été faite pour faire descendre la présentation. La version par manœuvre interne impose une analgésie correcte et un relâchement utérin complet qui peut être aidé par l’utilisation de dérivés nitrés. La manœuvre consiste alors à introduire la main et l’avant-bras dans la filière génitale jusque dans la cavité utérine, à saisir si possible les deux pieds, à refouler la présentation et à effectuer, doucement, tranquillement, patiemment, la version par manœuvre interne. Celle-ci sera interrompue si une contraction utérine survient et reprise ensuite. L’accouchement se termine par la grande extraction.
On imagine aisément que « dans la vraie vie » de telles manœuvres aboutissent parfois à la naissance d’un enfant en mauvais état.
Dans certaines circonstances (hypertonie utérine irréductible, col utérin rétracté, présentation transverse dos en bas, etc.), il faut savoir recourir à la césarienne pour la naissance du deuxième jumeau. Cette éventualité est cependant peu fréquente mais doit se faire en extrême urgence en général.
F-La délivrance
En raison du volume utérin, l’inertie utérine est fréquente dans les suites de l’accouchement des jumeaux (aussi bien par voie haute que par voie basse). La délivrance doit donc être dirigée, et il faut encore moins hésiter à envisager une délivrance artificielle et/ou une révision utérine s’il y a le moindre doute. La rétraction utérine sera cliniquement surveillée, la perfusion d’ocytocine doit être systématique pour prévenir l’atonie utérine. L’usage de la sulprostone doit être facile. Envoyer le placenta pour une analyse anatomo-pathologique.
G-Cas particuliers
1-Gémellaire et utérus cicatriciel
Là encore les attitudes peuvent varier selon les équipes. La césarienne est préférable pour certains. Dans le cas contraire, le déclenchement est possible uniquement en cas d’indication médicale, et sur un col très favorable (Bishop > ou= 6) et il est réalisé entre 38 et 39 semaines uniquement par rupture des membranes et ocytociques. En cas de col défavorable c’est la césarienne programmée au plus tard à 39 semaines ou 38 pour les monochoriales.
2-Cas des grossesses monochoriales mono-amniotiques
La problématique du choix d’accouchement est celle décrite plus haut. Toutefois la césarienne s’impose si le premier jumeau est en siège.
III-Complications des accouchements gémellaires
En cours de travail, la dystocie dynamique est plus fréquente en relation avec la surdistension utérine. Toute stagnation de la dilatation doit être analysée pour être éventuellement rapportée à une insuffisance de la dynamique utérine qui pourra alors être traitée par une perfusion d’ocytocine.
Les complications liées à la gémellité en elle-même (accrochage des fœtus, monstre double, collision, compaction, impaction) sont tout à fait exceptionnelles. L’accrochage des fœtus se rencontre lorsque le premier jumeau est en siège et le deuxième en présentation céphalique.
Les manœuvres sur le deuxième jumeau décrites plus haut, voire un temps de latence trop long entre les deux naissances, peuvent être source de complications spécifiques et d’état néonatal non satisfaisant.
Enfin le risque d’hémorragie de la délivrance, par atonie utérine essentiellement, est une complication tout à fait spécifique des grossesses gémellaires. La surdistension utérine (grossesse gémellaire à terme, macrosomie, hydramnios, etc.) est le facteur de risque principal auquel il convient de rajouter la multiparité.