L’interruption médicale de grossesse ou IMG est à ne pas confondre avec l’IVG ou Interruption Volontaire de Grossesse (voir ce chapitre). L’IMG peut être indiquée dans deux situations :
-soit dans le cadre de la loi du 17 janvier 1975 définie par l’article L2213-1 modifié le 7 juillet 2011: « l’interruption de grossesse peut à toute époque être pratiquée, si deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire (CPDPN = Centre Pluridisciplinaire de Diagnostic Pré-Natal) attestent, après que cette équipe ait rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la mère, soit qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic».
-Soit dans le cadre de la mort foetale in utero (MFIU).
I-Processus de la décision d’IMG dans le cadre de la loi du 17 janvier 1975
A-L’IMG va être discutée dans deux situations différentes
1-Soit à la suite d’un conseil génétique dans le cadre d’antécédents familiaux ou personnels du Couple. Le couple est pris en charge par un généticien le plus souvent en préconceptionnel et l’ annonce du mauvais résultat par le généticien aura lieu chez un couple déjà préparé. La collaboration entre le généticien, l’obstétricien, les pédiatres et les psychologues est souvent nécessaire pour aider le couple à prendre la décision.
2-Soit à la suite d’examens de dépistage par échographies ou lors du dépistage de la trisomie 21 au premier trimestre. Dans ces cas, les couples ne sont pas préparés à l’annonce d’une mauvaise nouvelle, surtout dans le cas d’une découverte échographique lors d’une écho de dépistage. Le parcours va être dans ce dernier cas plus compliqué et passe par un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). Une échographie diagnostique de seconde intention est réalisée. Et alors, tantôt le diagnostic est certain à l’échographie et le pronostic de cette malformation bien connu (ex. : exencéphalie, spina bifida), conduisant le couple à l’issue d’un entretien avec l’obstétricien et/ou un spécialiste de la pathologie à demander une IMG devant être validée par deux médecins agréés du CPDPN, tantôt le pronostic ne peut être précisé d’emblée et nécessite d’autres examens (prélèvements, IRM, etc.) et le dossier peut être parfois discuté à plusieurs reprises au sein du CPDPN. Un soutien psychologique est alors nécessaire. La finalité de ces processus étant de pouvoir informer sans orienter et sans se substituer à une décision parentale autonome.
B-Préparation à l’IMG
Dans le cas d’une pathologie spontanément létale à court ou moyen terme, un accompagnement de fin de vie peut être envisagé dans une démarche de soins palliatifs. Le couple rencontrera en anténatal l’équipe qui prendra en charge son enfant à la naissance. Il faudra alors envisager avec les parents les modalités de soutien et du suivi de la grossesse, la conduite à tenir pour l’accouchement (enregistrement ou non du rythme cardiaque fœtal, la voie d’accouchement, la prise en charge pédiatrique en salle de naissance, etc…) et les modalités d’accompagnement de cet enfant dans les heures, jours ou semaines suivant sa naissance. Cette alternative demande une motivation et investissement actif de l’ensemble de l’équipe soignante ante et postnatale.
Quand une décision d’IMG a été prise, le couple est ensuite reçu pour un entretien préalable à sa réalisation visant donner au couple toutes les informations sur le déroulement pratique de l’IMG (la consultation d’anesthésie, le bilan préopératoire, la date et la durée prévue d’hospitalisation, la technique utilisée, les effets secondaires des produits utilisés, les aspects administratifs (papiers de demande d’IVG à signer), le devenir du corps, la nécessité ou non d’une déclaration (et du choix d’un prénom) et de l’organisation d’obsèques ou d’une inhumation, les droits et prestations sociales seront évoqués en fonction de l’âge gestationnel, la possibilité de voir l’enfant, d’amener des vêtements ou un souvenir, d’une cérémonie d’adieu religieuse ou non sera exposée. Le couple sera averti si des photos ou des empreintes sont faites dans l’équipe. Dans la limite de ce qui est possible au niveau légal mais aussi acceptable pour l’équipe, une grande part d’autonomie doit être laissée au couple dans cette organisation.
II-Aspects techniques des IMG
Les modalités techniques de l’interruption médicale de grossesse dépendent de plusieurs facteurs qui sont essentiellement l’âge gestationnel et l’indication de réaliser ou non une autopsie. Le choix des parents intervient aussi et doit être au maximum respecté.
A-Les méthodes
1-L’aspiration sous anesthésie générale
Elle comporte une dilatation du col par des bougies suivie d’une aspiration. Le misoprostol peut être utilisé en préparation cervicale avant le geste. Il sera prescrit à la dose de 400μg, deux à quatre heures avant le geste chirurgical. Cette méthode est raisonnablement possible jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée. Elle est rapide et plus confortable pour la femme mais ne permet pas un examen foetopathologique complet. Moyennant un certain apprentissage, elle est possible jusqu’à 16-17 semaines d’aménorrhée voir 18-19 pour des opérateurs entrainés (et plus dans certains pays). Les difficultés techniques et les risques augmentent proportionnellement au volume du foetus, notamment du pôle céphalique. Les principales complications sont: déchirures cervicales, rétention placentaire ou de parties foetales, infection, hémorragie, perforation utérine. Un contrôle échographique per-opératoire est parfois utile.
2-Les méthodes médicamenteuses
Elles nécessitent deux étapes successives : la préparation du col puis le déclenchement du travail proprement dit.
a-La préparation cervicale
Elle est le plus souvent médicamenteuse par la Mifepristone (anti-progestatif) et raccourcit de façon significative la durée du déclenchement. Ses effets secondaires sont limités aux troubles gastro-intestinaux, aux crampes abdominales et aux métrorragies. On utilise la Mifégyne ® (comprimé de 200 mg de mifépristone) à la dose de 600 mg par voie orale, 36 à 48 h avant l’administration d’une prostaglandine.
Elle peut aussi faire appel à des dilatateurs mécaniques type laminaires (qui sont des dérivés d’algues séchées et compressés en bâton de 5 cm de long et de diamètres variables. Ils se réhydratent progressivement et augmentent de 3 à 5 fois leur diamètre en 4 à 12 heures) ou des dilapans (Lamicel® ou Dilapan-S®) permettant une dilatation mécanique du col. Plusieurs Dilapans peuvent être posés en même temps pour accélérer et augmenter la dilatation. La durée de pose maximale est de 24 h. La plupart des équipes les laissent entre 4 et 12 heures. Ils sont le plus souvent utilisés entre la prise de Mifégyne® et le début de l’induction du travail parprostaglandines. Les dilatateurs osmotiques comportent un risque infectieux, décrit surtout avec les laminaires organiques mais pouvant survenir avec les dilatateurs synthétiques. Le badigeonnage antiseptique et la surveillance sont indispensables. Les autres moyens éventuels de prévention sont peu codifiés, certaines équipes débutant une antibioprophylaxie (par doxycycline notamment) dès la pose de dilatateurs. L’examen bactériologique vaginal n’est pas systématique en l’absence d’antécédent ou contexte clinique. Il faut être particulièrement prudent en cas de facteur de risque infectieux tel que diabète ou immunodépression. La pose de dilatateurs à membranes rompues est classiquement contre-indiquée. Enfin, certains utilisent la pose de ballonnets gonflés au sérum puis mis en traction.
b-L’induction du travail
Elle se fait par les prostaglandines. Plusieurs sont disponibles.
–Le géméprost est un analogue synthétique de la prostaglandine E1. Il entraine une activitécontractile du muscle utérin associée à une dilatation et un ramollissement du col. C’est le Cervagem®, ovules de 1mg. On utilise 1 ovule de 1mg en intra vaginal toutes les 6 heures sans dépasser 5 ovules. Il est peu utilisé.
–La sulprostone est un analogue synthétique de la prostaglandine E2 (Nalador®, 500 microgrammes, lyophilisat pour usage parentéral). Il est peu utilisé dans cette indication.
–Le misoprostol est un analogue synthétique de la prostaglandine E1. Il a une action anti-sécrétoire, cytoprotectrice et entraîne également une contraction des fibres musculaires lisses du myomètre et un relâchement du col utérin. Il ne possède que peu de contre-indications comme des rares antécédents d’hypersensibilité au produit. Les effets secondaires sont dose dépendant et sont dominés par les vomissements, les nausées, les diarrhées et les douleurs abdominales. C’est le plus utilisé, notamment dans les morts fœtales et les IMG des 2ème et 3ème trimestres. Concernant les produits disponibles actuellement, le Cytotec de 200 μg a été (malheureusement) remplacé par le Gymiso® 200 μg ou le MisoOne®400 μg. Ces deux derniers produits sont pris 36 à 48 heures après la Mifepristone, par voie orale, à la dose de 400μg toutes les trois heures. Le délai induction-expulsion est le plus souvent inférieur à 10 h avec 97 % d’expulsions dans les 24h. La dose suivante ne doit être administrée qu’en l’absence de contractions régulières (> 3 contractions/10 minutes). À partir de 23 semaines, l’utérus serait plus sensible aux prostaglandines et des doses un peu plus faibles sont parfois conseillées. Une diminution de la dose de misoprostol est recommandée entre 14 et 31 semaines en cas d’utérus cicatriciel ou en cas d’IMG ou de MFIU au-à partir de 32 semaines. En l’absence d’effet le premier jour, le misoprostol peut être renouvelé le lendemain après 12 h d’interruption. En cas d’inefficacité, d’autres drogues ou d’autres techniques doivent être proposées (autres prostaglandines, ocytociques, chirurgie…).
3-La rupture artificielle des membranes
Elle est en elle-même un moyen de déclenchement. Elle peut être faite dès que les membranes sont accessibles, quels que soient le terme et la présentation, et même si le col est encore long et postérieur. Elle raccourcit la durée du travail.
4-la césarienne
C’est une solution à éviter le plus possible dans ces contextes. Les indications sont essentiellement l’existence d’une contre-indication formelle au déclenchement, notamment utérus cicatriciel à haut risque de rupture, ou dans de très rares cas d’échec du déclenchement. Dans des cas très particuliers la césarienne peut être faite par voie vaginale.
B-La question du foeticide
Lorsque le foetus n’est pas encore viable, c’est la prise des médicaments qui entraine la mort foetale. A partir de 24 semaines, un foeticide doit être réalisé. Il s’agit en fait d’une analgésie-foeticide au vu des connaissances actuelles concernant la douleur chez le fœtus. Le geste est réalisé dans des conditions d’asepsie chirurgicale, sous contrôle échographique. L’anesthésie péridurale est souhaitable. Certains auteurs préconisent une anesthésie locale à la lidocaïne, car le passage de l’aiguille à travers le péritoine viscéral peut être douloureux malgré l’anesthésie loco-régionale. Parfois, la patiente demande une sédation pendant le geste, en complément de la péridurale. L’injection de chlorure de potassium seul ne doit plus être pratiquée car elle est douloureuse pour le foetus. Divers protocoles sont utilisés, tous ayant pour principe d’entraîner une narcose profonde avant de provoquer l’arrêt cardiaque. L’injection du produit anesthésique dans le cordon ombilical est préférable à l’injection intracardiaque, car elle est indolore. En cas de difficulté technique pour aborder le cordon, l’injection intracardiaque reste une option. La narcose est obtenue par un barbiturique, le thiopental (Penthotal®), soit adaptée au poids foetal estimé (10 mg/kg), soit en posologie fixe de 25cg. On injecte ensuite ensuite un morphinique pour l’effet antalgique : Fentanyl® (1 à 7 mcg/kg, soit 10 à 70 μg/kg). Le foeticide proprement dit peut se faire par voie funiculaire ou intracardiaque. Classiquement, on utilisait le KCl (5 ml). La plupart des équipes l’injectent en intracardiaque, pour ne pas risquer un passage dans la circulation maternelle qui pourrait être dangereux. Le KCl a comme autre inconvénient d’entraîner des lésions cellulaires gênant l’examen foetopathologique, notamment cérébral. L’autre produit utilisé couramment est la lidocaïne 2 %, 5 ml (=100mg) dans le cordon ou en intracardiaque (la bupivacaïne peut aussi être utilisée). Lorsque l’injection intra-funiculaire ne suffit pas pour entraîner l’arrêt cardiaque, une nouvelle injection peut être faite en intracardiaque. Certains préfèrent la voie intracardiaque pour éviter tout risque de passage massif dans la circulation maternelle. L’anesthésie-foeticide peut entraîner des réactions chez la mère, ce qui nécessite une surveillance (dynamap, voire scope ou oxymètre). Le plus souvent il s’agit de simples malaises dus au syndrome cave et à la péridurale, ou d’endormissement à cause du passage des narcotiques à travers le placenta vers la mère. Plus exceptionnellement, les produits peuvent entraîner des troubles du rythme avec risque d’arrêt cardiaque, ce qui a été rapporté avec le KCl et serait possible avec la lidocaïne, notamment si l’injection a lieu accidentellement dans la circulation maternelle dans le placenta, ou une dépression respiratoire par narcose avec les morphiniques.
C-L’analgésie maternelle
En cas de curetage ou de protocole associant dilatation cervicale et évacuation utérine, l’anesthésie générale est la règle.
Pour les IMG médicamenteuses jusqu’au début du second trimestre, l’analgésie maternelle est le plus souvent assurée par une PCA (Patient Controlled Analgesia) aux morphiniques. Une péridurale est proposée pour les âges gestationnels plus importants. L’analgésie est préalable au déclenchement du travail et de préférence à la réalisation d’un geste foeticide. Certaines patientes expriment le souhait de bénéficier également d’une « perte de conscience » au moment de la ponction. La pose de Dilapans étant souvent douloureuse peut être précédée d’une prémédication si elle se fait à distance de la pose de l’analgésie péridurale. Une anesthésie générale est aussi parfois souhaitée par les patientes au moment de l’expulsion. Les risques d’une anesthésie générale de fin de travail doivent être évalués lors de la consultation d’anesthésie préalable à l’IMG (risque d’inhalation essentiellement).
D-Indications
1-Avant 15 semaines d’aménorrhée
Deux techniques sont possibles : l’aspiration sous anesthésie générale ou le protocole médicamenteux Mifepristone suivi du Misoprostol 36 à 48 heures après avec traitement antalgique per os (comme pour une IVG-voir ce chapitre).
2-Entre 15 et 32 semaines
Mifepristone suivi du Misoprostol 36 à 48 heures après, en hospitalisation, avec rupture des membranes dès que possible (si imposible, pose de 2 ou 3 Dilapans). Féticide à partir de 24 semaines. Le protocole est à réadapter vers J 4 si le déclenchement s’avère difficile.
3-Après 32 semaines
Féticide dans tous les cas si enfant vivant. Si le col est favorable, déclenchement par rupture des membranes et Ocytociques. Si le col est défavorable, protocole médicamenteux classique mais le Misoprostol sera de préférence fait 24 heures après la Mifépristone. Dans tous les cas, quel que soit le médicament utilisé pour l’induction du travail, l’amniotomie devra être réalisée dès que possible.