La survenue de saignements (ou métrorragies) au cours du premier trimestre de la grossesse est un phénomène extrêmement fréquent puisqu’il concerne une grossesse sur quatre. Il s’agit du motif de consultation le plus fréquent dans le cadre des urgences gynécologiques.
Devant ce symptôme, la réalisation d’une échographie est impérative, car sans elle aucune explication rationnelle ne pourra être apportée à des patientes rendues particulièrement anxieuses devant ces saignements. Malheureusement, tous les médecins, même gynécologues, ainsi que tous les services d’urgence ne disposent pas forcément d’un échographe et de personnes capables de s’en servir, 24 heures sur 24. Il en résulte donc parfois des errances d’un médecin à l’autre, et des retards de diagnostic qui sont très mal vécus par les femmes.
Il faut savoir que dans la moitié des cas la grossesse va se poursuivre normalement malgré cet épisode de saignement et cela sans traitement particulier. Cela pour dire que métrorragie du premier trimestre n’est pas forcément synonyme de catastrophe. Pour l’autre moitié, il y aura deux principaux diagnostics à préciser ou éliminer: la fausse couche spontanée et la grossesse extra-utérine.
I-Les trois étapes du diagnostic
La première étape est bien sûr clinique (interrogatoire et examen clinique) idéalement suivie dans la foulée par l’échographie. Le dosage des Bêta hCG, troisième étape, ne sera utile que dans certains cas douteux.
A-L’étape clinique
1-L’interrogatoire porte sur :
-Les antécédents (fausses couches, grossesses extra-utérines, etc).
-L’importance et l’origine des saignements
-La notion d’une échographie précédente
-L’âge de la femme, car le risque de fausse couche augmente avec l’âge.
-La notion de grossesse désirée ou non.
-la date des dernières règles et de la régularité des cycles, la notion de rapport fécondant, la date du décalage thermique de l’insémination ou du transfert après fécondation in vitro si la femme suit un traitement pour infertilité,la date de positivité d’un éventuel test de grossesse…
2-L’examen clinique
-La pâleur, le pouls, la tension permettent de juger de l’importance et du retentissement de l’hémorragie.
-L’examen au spéculum permet d’affirmer la présence de saignements, leur aspect, leur abondance, leur origine, de rechercher une cervicite, une vaginite avec des leucorrhées sales, un polype, voire une tumeur suspecte de cancer. Ces lésions peuvent être la cause du saignement ou simplement associées à une menace d’avortement. Si le saignement est en cours, on précisera les caractéristiques, on retrouvera parfois des débris placentaires, une caduque, des vésicules qui seront prélevés et envoyés en anatomopathologie. On en profitera pour réaliser des prélèvements bactériologiques dans le cadre d’une suspicion d’infection et un frottis cervicovaginal, voire des biopsies s’il existe une tumeur suspecte.
-Le toucher vaginal apprécie l’état du col utérin soit fermé, soit au contraire ouvert, laissant passer le doigt, ce qui est en faveur de l’avortement, du corps utérin, qui peut être de volume correspondant à l’âge de la grossesse, et de consistance molle, ou au contraire petit et dur, des culs-de-sac latéraux, qui s’ils sont douloureux (le fameux «cri du Douglas» reste un excellent signe de Grossesse extra-utérine dans ce contexte) peuvent évoquer un hémopéritoine et donc une Grossesse extra-utérine.
B-L’étape échographique
C’est un examen qui est devenu irremplaçable et qui permet d’apprécier la topographie de l’œuf et sa vitalité. Cette échographie doit être réalisée par voie vaginale.
a-Concernant la topographie de l’œuf. La présence d’un œuf intra-utérin avec activité cardiaque élimine de façon quasi formelle une GEU (l’association grossesse intra-utérine (GIU) + GEU étant exceptionnelle). Il faut toutefois se méfier des pseudosacs intra-utérins des GEU qui sont des images hypoéchogènes centrales par rapport à l’endomètre et sans couronne hyperéchogène et qui correspondent aux caduques. Les vrais sacs intra-utérins sont latéralisés par rapport à la ligne de vacuité utérine (nidation dans l’épaisseur de l’endomètre) et comportent une couronne hyperéchogène (trophoblaste). Si l’œuf n’est pas visible en intra-utérin, soit il est ectopique, soit la grossesse est trop précoce pour être vue, soit il n’y a pas ou plus de grossesse (fausse couche précoce expulsée. C’est dans ces cas que le dosage de Bêta hCG est indispensable pour débrouiller la situation.
b-Concernant la vitalité de l’œuf, s’il existe un embryon présentant une activité cardiaque positive, tout va bien et le pronostic risque d’être favorable. Il est bon de savoir que l’activité cardiaque apparaît à 6 semaines (et 0 jours), que le sac gestationnel est visible en intra-utérin à partir de 4 SA ± 2 à 3 jours et pour un taux d’hCG supérieur à 1 000 UI/mL.
Un oeuf clair ou grossesse non embryonnée, ou la présence d’un embryon de plus de 3mm sans activité cardiaque correspondent à un avortement.
L’échographie peut aussi permettre de distinguer la rétention d’un œuf mort avec embryon des débris ovulaires évoquant un avortement incomplet. L’échographie peut mettre en évidence un hématome à différentes localisations : sous-décidual, sous-amniotique, intrachorial ou intracavitaire. Aucune publication ne permet d’établir l’évolution de la grossesse en fonction de la localisation de cet hématome. En revanche, plus le volume de l’hématome est important, plus le risque d’avortement spontané est élevé. De même, en cas de grossesse gémellaire, l’un des deux oeufs en voie de lyse peut expliquer le saignement.
Avant la 6e SA, les critères échographiques (forme, dimensions du sac ovulaire, présence d’une vésicule vitelline) ont une faible valeur diagnostique et pronostique. Il faut alors savoir refaire une échographie à 8-10 jours d’intervalle pour pouvoir affirmer la vitalité de l’oeuf.
C-L’étape biologique
C’est le dosage de l’hormone chorionique gonadotrope, détection dans le sang ou les urines de hCG.
Les tests qualitatifs urinaires peuvent être positifs à partir de 20 UI, soit 10 jours après l’ovulation ou 50 UI, soit le jour présumé des règles. Les faux négatifs sont liés à un seuil de détection trop élevé : la négativité du test signifie soit qu’il n’y a pas d’hCG, soit que le taux est inférieur au seuil de détection du test. Ce type d’erreur est d’autant plus fréquent que la grossesse est jeune et le seuil du test élevé. À l’inverse, des concentrations très élevées d’hCG peuvent donner de faux négatifs lorsque la concentration de l’antigène déborde les possibilités du système (effet crochet). La présence d’hémoglobine, d’hématies, une protéinurie importante, une bactériurie peuvent provoquer un faux positif, de même certains médicaments (opiacés, neuroleptiques) et certains détergents utilisés pour le lavage des récipients.
Le dosage quantitatif plasmatique doit être préféré et se positive 8 à 10 jours après la fécondation (bien avant un éventuel retard de règles) et présente moins de faux négatifs. Le taux d’hCG double normalement toutes les 48 heures jusqu’à 8 à 10 SA. Les dosages qualitatifs positifs affirment la grossesse. Négatifs, ils n’éliminent pas une grossesse débutante ou qui s’arrête, il faut au minimum refaire un dosage à 8 jours pour affirmer l’absence de grossesse débutante.
Les dosages quantitatifs plasmatiques permettent de répondre à deux questions fondamentales :
– affirmer la grossesse : un taux normal peut cependant persister quelques jours après l’arrêt de la grossesse. Un test peut être négatif s’il est pratiqué avant le 8e jour qui suit la fécondation ;
– préciser son évolutivité : un taux bas pour le terme permet de prédire l’avortement dans 98 % des cas à condition de connaître avec certitude la date de fécondation!! Un taux stagnant ou décroissant à deux dosages successifs réalisés à 48 h d’intervalle affirme bien souvent un avortement.
Les dosages d’hCG ne renseignent pas sur la localisation de l’oeuf qui peut être intra- ou extra-utérin. Il faudra donc compléter le bilan par une échographie pelvienne et garder à l’esprit la notion de seuil : les hCG doivent être supérieurs à 1 000 UI/l pour normalement voir un sac ovulaire en échographie transvaginale et à 3 000 UI/l si l’échographie est réalisée par voie transabdominale.
II-Les causes possibles de ces métrorragies
L’étude de la clinique et des résultats des examens complémentaires permet, dans la majorité des cas, de faire le diagnostic de grossesse intra-utérine.
Le dosage des hCG plasmatiques affirme très précocement le diagnostic de grossesse.
Du fait de cette précocité, il est bien souvent difficile d’en affirmer la localisation et l’évolutivité qui sont les deux points principaux à élucider lorsqu’il s’agit de saignement en début de grossesse.
L’échographie distingue les quatre principaux diagnostics à évoquer devant un tel tableau : la grossesse extra-utérine, la môle hydatiforme, la grossesse intra-utérine arrêtée et la grossesse intrautérine évolutive.
Parmi les autres diagnostics, il ne faudra pas omettre l’origine cervicale des métrorragies qui ne pourront être diagnostiquées que par un examen clinique complet.
A- La grossesse extra-utérine
Devant des métrorragies du premier trimestre de la grossesse, la grossesse extra-utérine est le premier diagnostic à éliminer de façon absolue. En somme, devant un tel tableau, il faut s’acharner à localiser la grossesse et évaluer le caractère urgent ou non de la prise en charge. Le diagnostic sera évoqué devant un petit utérus pour l’âge théorique de la grossesse, une masse latéro-utérine sensible, un utérus vide à l’échographie et un dosage des hCG positif. Une coelioscopie pourra être réalisée en cas de doute lorsque le diagnostic est plus difficile mais attention à ne pas la réaliser trop tôt dans la grossesse car elle ne permettrait pas forcément de la mettre en évidence.
B-La môle hydatiforme
est de diagnostic clinique difficile malgré la présence de signes «sympathiques » de grossesse exagérés, d’un utérus augmenté de volume par rapport au terme et éventuellement d’une protéinurie et de kystes de l’ovaire. Ce diagnostic doit être évoqué sur l’image échographique typique en « flocon de neige » (mais attention aux imitations) associée à l’absence d’embryon et sur la présence d’un taux élevé d’hCG plasmatique. Cependant, le diagnostic formel ne pourra être confirmé qu’après une analyse anatomopathologique du produit d’évacuation de l’utérus qui permettra ainsi d’éliminer un choriocarcinome.
C-Autres causes diverses
Bien que celles-ci soient de plus en plus rare, voire exceptionnelles, il est indispensable de garder à l’esprit la possibilité de manoeuvres abortives nécessitant une prise en charge adaptée : hospitalisation de la patiente, mise en route d’une antibiothérapie à large spectre le plus rapidement possible, évacuation utérine par aspiration au plus tôt après 48 heures d’antibiothérapie.
Il existe aussi des métrorragies provoquées par le coït souvent en rapport avec une infection ou un ectropion saignant facilement.
L’examen soigneux au spéculum mettra en évidence des lésions cervicales bénignes qui saignent facilement au cours de la grossesse, voire une lésion maligne.
D-Les métrorragies avec une grossesse intra-utérine
Une fois éliminée la grossesse extra-utérine, la question va porter sur la qualité de l’évolutivité de cette grossesse.
On en distingue deux catégories selon l’évolutivité de la grossesse (arrêtée ou non). L’observation ou non d’une activité cardiaque est essentielle à ce stade.
Si le coeur de l’embryon bat, peu de causes peuvent expliquer un tel tableau :
– la résorption d’un deuxième jumeau en début de grossesse que l’échographie pourra mettre en évidence ;
– un hématome périovulaire ou décollement placentaire lié à la pénétration du trophoblaste dans l’endomètre ;
– l’endométrite déciduale de pronostic très défavorable.
Dans de nombreux cas, la cause précise n’est pas retrouvée mais dans ce cas, le pronostic est favorable pour 93 % des grossesses.
S’il n’y a pas d’activité cardiaque, la grossesse est arrêtée. On parle de fausse couche spontanée. Les étiologies nombreuses sont de différentes origines : foetale, maternelle ou environnementale, mais la fausse couche est d’origine chromosomique dans 70 % des cas avant 6 SA et dans 50 % des cas dans les 10 premières SA. Ces fausses couches sont favorisées par l’âge maternel et le vieillissement des gamètes. Ce phénomène de sélection naturelle explique l’absence de traitement étiologique.
III-Conduites pratiques
A-Les patientes présentant une GEU ou une môle doivent être hospitalisées et traitées.
B-Si la grossesse est arrêtée, plusieurs attitudes sont maintenant admises mais encore débattues dans la littérature. Il est possible de réaliser une aspiration du contenu utérin sous anesthésie générale, mais un traitement conservateur (non chirurgical) est possible, soit par une simple surveillance, soit par un traitement médical.
Après avoir fait le diagnostic de grossesse non évolutive, on peut proposer la réalisation d’une aspiration utérine après préparation cervicale au misoprostol s’il existe une hémorragie, une hémodynamique instable, des troubles de la coagulation, un refus de tout autre traitement de la part de la patiente ou une éventuelle infection (après 48 heures d’antibiothérapie si possible). Dans les autres cas, il paraît licite de proposer une expectative d’une semaine si cela est envisageable. Si l’expulsion n’a pas lieu, un traitement médical de type Misoprostol (2 cp en intravaginal à renouveler toutes les 3 heures avec un maximum de 6 cp) peut être mis en place, puis on se donne au minimum 24 heures avant d’envisager une éventuelle aspiration.
Après l’expulsion où lors de métrorragies du premier trimestre et quel que soit le terme de la grossesse, on n’oublie pas, si la femme est Rhésus négatif, la séroprophylaxie par injection d’immunoglobulines anti-D afin de prévenir d’une éventuelle immunisation Rhésus.
Quelles que soient les modalités d’expulsion, le produit intra-utérin sera mis dans du liquide de Bouin pour un examen anatomopathologique afin d’affirmer la grossesse et d’éliminer une môle hydatiforme ignorée jusqu’à présent.
Faut-il faire un bilan après une première fausse couche spontanée ?
La réponse est non car, comme nous l’avons vu précédemment, l’origine d’une première FCS est la plupart du temps chromosomique.
Il n’existe donc pas de traitement préventif.
C-Si la grossesse est évolutive, Il faut éliminer une cause cervicovaginale de saignement : polype, cervicite, cancer, et la traiter. Si la grossesse n’est pas désirée, on discute avec la femme d’une demande d’IVG conformément à la loi. Si la grossesse est à haut risque (femme de plus de 40 ans, obèse, hypertendue, diabétique), on discute avec le couple du problème que pose une telle grossesse, car il faut avoir la coopération entière du couple pour pouvoir la mener à bien.
Si la grossesse est désirée, il se pose la question du traitement à prescrire :
– le repos à domicile et l’abstinence sexuelle sont habituellement prescrits ; cependant aucune preuve de l’efficacité du repos n’a été rapportée. Une étude contrôlée a montré l’inefficacité du repos à l’hôpital;
– les antispasmodiques sont employés par certains pour réduire les contractions utérines et par d’autres pour leur effet placebo ;
– les antibiotiques par voie locale et générale peuvent être employés s’il existe une cervicite ou en cas de menace d’avortement fébrile. Leur administration est précédée par un prélèvement bactériologique endocervical systématique ;
– la prévention de l’immunisation Rhésus.
– le soutien psychologique : si aucun traitement ne semble statistiquement efficace, le soutien psychologique de ces patientes affectées par le déroulement de leur grossesse est indispensable.
– les hormones sont très discutées :
– les oestrogènes sont contre-indiqués depuis que l’on connaît les cancers du vagin chez les jeunes filles dont les mères ont pris du distilbène en début de grossesse ; les oestrogènes autres que le distilbène ne semblent pas être à l’origine de lésions vaginales, mais étant donné l’absence de preuve de leur efficacité, il semble préférable de ne pas en prescrire, même associés à de la progestérone d’autant plus qu’ils agissent uniquement en augmentant la trophicité du myomètre ;
– la progestérone et ses dérivés sont discutés car théoriquement, elle modifie le comportement mécanique des fibres utérines en entraînant une élévation du potentiel de repos et une diminution des potentiels d’action aboutissant à une diminution de l’excitation du myomètre généralement due à l’ocytocine ou aux prostaglandines. Prescrite en début de grossesse, elle ne donne pas de malformation et améliorerait la tolérance immunitaire de la grossesse par la mère. Enfin, elle permettrait de suppléer un corps jaune dont les sécrétions sont insuffisantes. Cependant, l’efficacité d’un tel traitement n’a jamais été démontrée par rapport à un placebo ou à l’abstention. la tendance actuelle est de ne pas prescrire de la progestérone devant une menace d’avortement.
Si la grossesse se poursuit, il faut continuer une surveillance étroite après le premier trimestre, car c’est une grossesse à risque, notamment au 3ème trimestre il faut se méfier d’un accouchement prématuré et rechercher une anomalie foetale, un placenta bas inséré ou praevia.
Conclusion
20% des grossesses saignent au premier trimestre et la moitié aboutiront à un avortement spontané d’origine chromosomique dans 70 % des cas. Et on n’y peut rien.