La dystocie qui, étymologiquement, signifie «accouchement difficile» quelle qu’en soit la cause, représente l’ensemble des phénomènes susceptibles de perturber le travail et l’accouchement.
Cette définition permet de distinguer :
-les dystocies dynamiques qui concernent toutes les anomalies des phénomènes dynamiques du travail et de l’accouchement, c’est-à-dire les anomalies de la contraction utérine et de la dilatation du col ;
-les dystocies mécaniques où la difficulté d’accouchement provient d’une anomalie du bassin, ou du fœtus lui-même, du fait de son volume ou de sa présentation.
I-Diagnistic d’une dystopie
Par définition, la dystocie ne se manifeste qu’en cours de travail et le diagnostic en est fait, en cours de travail, sur trois types de symptômes: des anomalies de la contractilité utérine, des anomalies de la dilatation du col, ou une absence d’engagement de la présentation.
A-Les anomalies de la contraction utérine
Les contractions dites normales sont intermittentes, régulières toutes les 3 à 5 minutes, douloureuses et durent 40 à 60 secondes. Anormalement la douleur peut-être atténuée traduisant souvent des contractions d’intensité insuffisante ou la douleur peut-être hyperalgique, mal supportée, parfois continue avec paroxysmes, ou à irradiations lombaires ou la chronologie des contractions peut être modifiée ou le relâchement apprécié par le palper abdominal peut-être insuffisant.
B-Les anomalies de la dilatation du col
Elles ont pour conséquences un allongement de la durée du travail. L’arrêt de l’ouverture du col peut se produire en début de travail ou en cours de dilatation.
1-En début de travail
Les difficultés rencontrées en début de travail ne sont pas les mêmes s’il s’agit d’un déclenchement ou s’il s’agit d’une mise en travail spontanée. Lorsque la mise en travail est spontanée, il est important de pouvoir préciser le moment du début du travail afin d’en apprécier le caractère dystocique. Il n’existe malheureusement pas de définition précise du début spontané du travail. Il ne s’agit certainement pas du moment où la parturiente est admise en salle de travail car à ce moment-là les phénomènes dynamiques sont déjà installés souvent depuis plusieurs heures. Pour des raisons plus pratiques que théoriques, nous proposerons de considérer qu’une patiente est en début de travail à partir du moment où cœxistent :
— des contractions utérines d’une certaine importance, c’est-à-dire généralement qui commencent à être douloureuses et qui sont relativement rapprochées (plus d’une contraction toutes les 10 minutes) ;
— un col au niveau duquel on a mis en évidence à deux examens successifs, à une ou deux heures d’intervalle, une modification de longueur ou d’ouverture.
Cependant, la survenue de telles contractions n’est pas instantanée. Elles sont généralement précédées par des contractions de fin de grossesse, indolores, qui permettent le plus souvent la maturation du col. Elles ne deviennent un motif de consultation qu’à partir du moment où elles deviennent douloureuses.
Si le début du travail est dystocique, la phase initiale du travail, ou phase de latence, est normalement la plus longue ; aussi est-il difficile d’y définir la limite de la dystocie. On peut considérer comme dystocique la présence de contractions utérines intenses, régulières et douloureuses sans modification du col ou n’entraînant qu’une dilatation très lente (plus de 10 heures pour arriver à 3 centimètres) avec un col effacé. Ce phénomène est parfois appelé dystocie de démarrage. Une telle dystocie ne doit pas être abandonnée à elle-même sans traitement. Pour la plupart des auteurs, sa fréquence est évaluée aux alentours de 2%, étant un peu plus fréquente chez la primipare que chez la multipare.
Lorsque le travail a été artificiellement provoqué, le diagnostic de début de travail est beaucoup plus simple: la parturiente doit être considérée comme étant en travail à partir du moment où l’on a rompu les membranes. Qu’il y ait ou non des contractions ne rentre pas en ligne de compte car c’est à l’accoucheur de les stimuler par l’administration d’ocytociques; et d’une manière générale, même en l’absence d’ocytociques, la seule rupture suffit à induire une activité utérine.
La dystocie de démarrage peut tout autant exister, que le travail débute spontanément ou qu’il soit déclenché. Elle n’a dans ce cas rien de particulier et se manifeste par l’impossibilité d’atteindre ou de dépasser la dilatation de 3 centimètres (avec un col effacé) au bout d’une dizaine d’heures, imposant le recours à la césarienne. Une telle dystocie, lorsqu’elle survient au décours d’un déclenchement, pose évidement la question de l’indication du déclenchement. A-t-elle été posée judicieusement ? N’aurait-il pas fallu attendre quelques jours afin de bénéficier d’une meilleure maturation cervicale ? La réponse est facile si le déclenchement a été induit sur un col franchement long, franchement fermé et trop ferme. Cela est une faute. Mais parfois, il sera impossible de distinguer un échec du déclenchement par mauvaise indication d’une dystocie vraie pour laquelle, quelle qu’aurait été la méthode utilisée, la dilatation n’aurait pu en aucun cas se produire, peut-être en raison d’une disproportion fœto-pelvienne sous jacente méconnue. L’important est que de tels échecs restent exceptionnels et ne soient pas plus fréquents que les dystocies de démarrages survenant à l’occasion de mises en travail spontanées (environ 2 %). Compte-tenu de la rareté de ces phénomènes, il est impossible d’en apprécier l’incidence d’après la seule intuition. Cela est un exemple de la nécessité, en obstétrique, peut-être plus d’ailleurs, d’avoir une vision rétrospective précise de ses propres résultats à l’aide d’un recueil informatisé des données.
2-En cours de dilatation
Il y a dystocie lorsque
— la phase de latence est supérieure à 12 heures ;
— la phase de vitesse maximale de dilatation évolue à moins de 1,2 cm/h chez la primipare et moins de1,5 cm/h chez la multipare ;
— la phase suivant la dilatation complète jusqu’à la naissance dure plus de 3 heures.
En pratique on considère qu’il s’agit d’une situation dystocique si la vitesse de dilatation est trop lente, même si elle progresse régulièrement, ou si la dilatation stagne plus de deux heures. De telles situations ne doivent pas être synonymes d’indication de césarienne mais doivent attirer l’attention de l’obstétricien qui doit d’abord chercher les moyens de corriger une éventuelle anomalie dynamique.
C-L’absence d’engagement de la présentation
Une absence d’engagement à dilatation complète ne doit être considérée comme une dystocie qu’au bout de deux heures d’absence de progression de la tête. En l’absence de souffrance fœtale, il faut savoir attendre, l’engagement étant un phénomène mécanique délicat pouvant être parfois un peu long.
III-Les causes de la dystocie
A-Les disproportions pelviennes
On entend par disproportion fœto-pelvienne :
— l’inadéquation entre la tête fœtale et le bassin, soit parce que la tête fœtale est trop volumineuse, soit parce que le bassin est plus ou moins rétréci ;
— les présentations dystociques : transversales ou obliques, front ;
— les malformations fœtales avec excès de volume localisé : hydrocéphalie, iniencéphalie, méningo-encéphalocèle, anomalies cervicales ou thoraciques, ascite, reins polykystiques, monstres doubles. Ces anomalies sont dépistables à l’avance par l’échographie.
Si le diagnostic étiologique est facile en cas de position transverse, il n’est souvent pas fait dans les autres cas. Un certain nombre de présentations du front passent inaperçues et surtout, le diagnostic de disproportion entre la tête et le bassin ne peut être qu’évoqué devant une stagnation de la dilatation. Une césarienne n’est habituellement pas faite pour disproportion fœto-pelvienne, elle est faite pour stagnation de la dilatation.
L’obstacle mécanique, outre le fait qu’il est responsable d’un arrêt du travail, induit des troubles de la contractilité utérine (dystocie dynamique) qu’il faut savoir interpréter comme étant la conséquence et non pas la cause de la stagnation du travail.
B-Les dystociques d’origine cervicales
Elles regroupent :
— les lésions cicatricielles du col comme par exemple après conisations, cerclages, électrocoagulations profondes ;
— le cancer et le chancre syphilitique du col ;
— le syndrome d’agglutination du col est une curiosité parfois observée. Le col, réduit à un orifice minuscule ne faisant aucune saillie, est difficile à repérer au doigt. La finesse du segment inférieur recouvrant la présentation pourrait en imposer à tort pour une dilatation complète avec une poche des eaux intacte. Il serait pour le moins dangereux d’essayer de «rompre les membranes» ou de poser un forceps. Le simple fait de cathétériser le col avec un doigt ou une pince permet généralement d’obtenir une dilatation rapide ;
— le spasme du col en cours de travail peut s’observer en l’absence d’anesthésie péridurale. Il est une conséquence de la douleur, majorée par l’anxiété et l’agitation. La douleur provoque un spasme cervical lui-même responsable d’anomalies contractiles de l’utérus, elles-mêmes cause de stagnation de la dilatation et d’accentuation de la douleur. Ainsi se constitue un cercle vicieux : douleur-spasme cervical-dystocie qui peut être à l’origine de quelques césariennes qui auraient put être évitées par la pose d’une anesthésie péridurale.
C-Les dystociques liées à une pathologie gravidique
Les surdistentions utérines (hydramnios, grossesse gémellaire) sont un facteur de dystocie dynamique. Le décollement prématuré d’un placenta normalement inséré s’accompagne souvent de phénomènes d’hypertonie utérine. L’oligo-amnios extrême peut-être responsable d’une rétraction du myomètre sur l’enfant.
D-Les causes iatrogènes
Une mauvaise utilisation des ocytociques peut être source de dystocie. En particulier une hypercinésie de fréquence avec un certain degré d’hypertonie n’est pas synonyme de travail accéléré. Au contraire, les contractions ont besoin pour être efficaces d’être séparées par un repos compensateur suffisant. D’une manière générale une mauvaise direction du travail est néfaste, comme par exemple une rupture des membranes trop tardive.
E-Les dystociques dynamiques primitives
Ce sont des anomalies de la fibre utérine elle- même. Elles peuvent s’observer chez les primipares âgées, les grandes multipares, les utérus fibromateux, les hypoplasies utérines.
Cependant un certain nombre de dystocies que l’on aurait pu croire dynamiques ne sont en fait que l’expression de discrètes anomalies de l’accommodation fœto-pelvienne qui passent bien entendu inaperçues.
III-Conséquences de la dystopie
A-Conséquences maternelles
Si la dystocie a pour origine un obstacle mécanique elle se manifeste par un arrêt de la dilatation. L’utérus essaye de lutter contre l’obstacle, éventuellement aidé par les ocytociques administrés, ce qui se traduit par une intensification des contractions utérines. En l’absence d’anesthésie péridurale, la douleur devient plus intense et le travail de plus en plus mal supporté, favorisant le spasme cervical, aggravant lui-même la dystocie.
La rupture utérine pourrait être la conséquence d’une hypertonie ou d’une hypercinésie négligées. Une césarienne doit être réalisée dès qu’apparaissent des signes de lutte.
B-Conséquences foetales
L’allongement de la durée du travail ou sa stagnation à une certaine dilatation a pour conséquences chez le fœtus :
— la constitution d’une bosse séro-sanguine, sans gravité, mais qui peut rendre le repérage de l’orientation de la tête impossible;
— de favoriser la souffrance fœtale car l’intensification et le rapprochement des contractions tend à créer une anoxie fœtale qui risque d’être d’autant moins bien tolérée qu’il s’agit d’un fœtus hypotrophique en état de souffrance fœtale chronique.
IV-Conduite à tenir devant une dystopie
A-Conduite curative
Nous envisagerons les grands principes du traitement des différents type de dystocie, cela dans un souci de clarté de l’exposé. Il est cependant bien évident que la conduite à tenir devant une dystocie ne peut se réduire à quelques recettes et qu’elle nécessite une analyse simultanée de nombreux paramètres pour laquelle l’expérience de «l’art» obstétrical joue beaucoup.
1-Pour les anomalies de début de travail
On peut les regrouper sous l’appellation de dystocie de démarrage.
a-Ce qu’il faut faire :
Une patiente arrive à la maternité, à partir de la 39e semaine, avec des contractions utérines douloureuses. Il faut la considérer comme étant en début de travail. À l’examen, le col est généralement «mûr» car il existe des contractions. Il serait très inhabituel de constater un col totalement fermé ne permettant aucun accès aux membranes.
Il faut donc compléter le déclenchement, c’est-à-dire quasi-simultanément :
— rompre les membranes ;
— installer une perfusion d’ocytociques ;
— mettre en place une anesthésie péridurale.
Cette dernière aura d’ailleurs bien souvent, par sa vertu antalgique, un effet de relâchement cervical permettant à la dilatation de débuter plus rapidement.
Ce n’est que devant des contractions et des conditions locales fortement défavorables au déclenchement (situation exceptionnelle) qu’on pourrait discuter :
— une maturation cervicale par gel de prostaglandine ;
— une perfusion courte de bêta-mimétiques pour tenter d’arrêter les contractions… mais ce n’est généralement pas la bonne solution !
Si le tableau d’une dystocie de démarrage survient à l’occasion d’un déclenchement, il faut envisager une césarienne, mais pas trop vite. Il faut savoir patienter jusqu’à une dizaine d’heures, en l’absence de souffrance fœtale, car cette phase initiale du travail qui représente parfois la phase d’achèvement de la maturation du col avant sa dilatation, peut demander quelques heures pour se faire artificiellement alors qu’elle se serait faite spontanément en quelques jours. Il faut s’attendre à ce que cette phase de maturation soit d’autant plus longue que les conditions locales de départ étaient moins favorables.
b-Ce qu’il ne faut pas faire :
— L’administration de morphiniques neuroleptiques et antispasmodiques divers doit être prohibée car inutile ou dangereuse. De telles habitudes encore non exceptionnelles doivent disparaître de la pratique de l’obstétrique actuelle.
— L’usage désinvolte des bêtamimétiques qui peuvent effectivement permettre d’inhiber quelques temps les contractions utérines et «d’attendre le lendemain» en dormant tranquillement le reste de la nuit et en qualifiant ces contractions de «faux travail», est aussi une mauvaise habitude qu’il faut combattre. Lorsque la maturité fœtale est acquise, il ne peut être que néfaste pour la mère et surtout pour l’enfant de retarder sans raison médicale valable, un travail qui ne demande qu’à se faire.
2-Pour les dystocies en cours de travail
a-L’anesthésie péridurale
D’une manière générale, il est bon de répéter que toute femme en travail devrait pourvoir bénéficier d’une anesthésie péridurale. Pour le moins, dès qu’un élément de dystocie apparaît, la péridurale doit s’imposer comme faisant partie de l’arsenal thérapeutique indispensable de la dystocie. Elle a pour avantages :
— de supprimer le spasme de col et de favoriser la dilatation de ce dernier ;
— d’éviter une anesthésie générale si une césarienne devient nécessaire ou si une complication survient au cours de l’accouchement.
b-Améliorer la dynamique utérine
En dehors de l’anesthésie péridurale, le premier réflexe à avoir est de s’assurer qu’il existe une dynamique utérine correcte et que les contractions soient efficaces. Il est important de corriger rapidement, dès leur apparition, de discrètes anomalies contractiles. Elles disparaissent souvent facilement. Trop attendre risque de les laisser s’organiser et de favoriser un état de dystocie irréductible.
La pratique du déclenchement systématique du travail met au mieux l’accoucheur dans cette position de direction du travail rigoureuse et permanente, réduisant considérablement les risques de survenue d’une dystocie.
Devant une hypocinésie, il faut s’assurer que les membranes ont bien été rompues. Sinon il faut le faire. D’une manière générale, l’hypocinésie est aisément corrigée par l’augmentation du débit de la perfusion d’ocytociques.
Devant des contractions qui paraissent normales alors que le travail stagne, il faut installer un capteur interne et on découvre alors souvent que les contractions que l’on croyait normales traduisent en fait une hypocinésie d’intensité qui sera traitée par les ocytociques.
Devant une hypercinésie de fréquence, il peut s’agir d’un débit d’ocytocine excessif, mais bien souvent c’est le contraire, et l’augmentation du débit de Syntocinon ® suffit à ralentir la fréquence des contractions.
Par contre l’hypercinésie d’intensité, souvent accompagnée d’hypertonie (élévation du tonus de base) demande une réduction des doses d’ocytociques. Elle risque aussi de traduire l’existence d’un obstacle mécanique.
b-La césarienne
La césarienne est le seul recours lorsque la dystocie est irréductible.
En l’absence de souffrance fœtale et de signes de lutte il faut au contraire savoir attendre et la règle classique des deux heures d’attente nous semble pouvoir être largement dépassée, jusqu’à 4 heures de stagnation, surtout dans les conditions d’analgésie aujourd’hui obtenues grâce à l’anesthésie péridurale. Attendre quatre heures, oui, mais jamais sans avoir tout fait pour corriger une dystocie dynamique et jamais sans anesthésie péridurale.
c-Les gestes inutiles ou dangereux
Les antispasmodiques ne servent à rien, leur utilisation relevant plus de la paresse intellectuelle que de la science obstétricale. Les méthodes d’anesthésie générale, éventuellement combinées au gamma-OH qui est un ocytocique puissant, doivent être abandonnées, car dangereuses pour la mère et pour l’enfant. Elles relèvent d’usages obstétricaux d’une autre époque qui n’ont plus de place dans l’obstétrique actuelle. Les dilatations forcées du col au doigt ou pire, les incisions sur un col récalcitrant sont également prohibées. La mise en place d’un forceps, avant que la dilatation soit complète ou que la tête soit engagée, risque d’aboutir à une catastrophe pour la mère comme pour l’enfant.
3-Pour les dystocies de fin de travail
Il faut savoir reconnaître une disproportion fœto-pelvienne évidente liée par exemple à une malformation fœtale. Devant une absence d’engagement à dilatation complète: il faut là encore savoir attendre, sans faire pousser la paturiente. Un délai de deux heures est raisonnable à la condition :
— qu’il n’existe pas de souffrance fœtale ;
— que l’on ait la certitude qu’il existe une dynamique utérine de bonne qualité ;
— que la femme bénéficie d’une anesthésie péridurale.
Au delà, ou en cas de souffrance fœtale, il faut césariser, même à dilatation complète si la tête n’est pas engagée. Le forceps est dans ce cas contre-indiqué.
Devant une expulsion laborieuse après engagement de la tête, il faut :
— se souvenir que la phase d’expulsion active, celle où l’on demande à la femme de fournir des efforts expulsifs, celle où l’enfant descend dans la filière pelvienne, est une période dangereuse pour le fœtus, génératrice d’hypoxie, d’acidose, de bradycardies, et qu’en conséquence elle doit être la plus courte possible. Il n’est plus acceptable de nos jours de voir des femmes s’épuiser en poussant pendant une demi-heure, une heure, ou même plus, en ayant le visage rouge, le cou turgescent et les yeux marqués par des hémorragies sous-conjonctivales !… Sans parler du célèbre cliché de la sage-femme, accroupie sur le ventre de la «patiente», exerçant une expression utérine forcée. Tout cela est l’obstétrique d’un autre âge.
La durée de l’expulsion ne doit pas dépasser 10 minutes, un quart d’heure au maximum.
Le raccourcissement de la durée de l’expulsion passe par la mise en place d’un forceps (ou de toute autre aide à l’expulsin) dès que les conditions de sécurité sont réunies à savoir :
— dilatation complète et membranes rompues bien sûr ;
— tête engagée à la partie moyenne ou à la partie basse ;
— si possible orientée dans le diamètre vertical.
Il est des cas difficiles, limites, où le forceps peut être risqué : Si la tête est engagée mais encore un peu haute, il peut être licite de faire ce que l’on appelle un forceps d’essai, en n’exerçant pas de traction trop forte et en étant prêt à césariser immédiatement si la tête ne descend pas facilement. Si la position de la tête est dans un diamètre oblique ou transversal, il faut obtenir une rotation de cette dernière dans un diamètre vertical, en s’aidant d’un doigt crocheté au niveau d’une suture ou d’une seule cuillère de forceps (Suzor et cuillère la plus basse) aidée du doigt. Il est seulement ensuite possible de placer les deux cuillères du forceps sans danger.
Au cours de ces «manœuvres» on gardera toujours présent à l’esprit qu’une bonne césarienne vaut mieux qu’un mauvais forceps.
La dystocie des épaules est caractéristique de l’accouchement des très gros enfants, pesant plus de 4500g . C’est une complication rare mais redoutable pour l’enfant. Le diamètre biacromial se bloque au niveau du détroit supérieur, sans pouvoir s’engager, alors que la tête paraît retenue à la vulve où elle est collée «comme un bouchon de champagne». Il ne faut surtout pas tirer dessus, ce qui serait inefficace et conduirait rapidement à la mort de l’enfant.
La conduite à tenir devant une dystocie vraie des épaules est la manœuvre de Jacquemier. C’est une urgence extrême : après épisiotomie large, la main de l’accoucheur se glisse dans la concavité sacrée et abaisse le bras postérieur du fœtus quitte à le casser, ce qui est souvent le cas et ne constitue pas dans ce cas une faute ; cette fracture, qui guérira sans aucune séquelle, permet de sauver la vie de l’enfant. On remplace ainsi le diamètre biacromial trop grand par le diamètre acromio-axillaire qui permet l’engagement puis la sortie du fœtus.
Il ne faut pas confondre la dystocie des épaules où la tête paraît littéralement aspirée par l’orifice vulvaire, avec une difficulté aux épaules. La difficulté aux épaules est beaucoup plus fréquente et correspond à une difficulté de dégagement des épaules alors qu’elles sont déjà engagées. La simple traction de la tête vers le bas ne permet pas le dégagement de l’épaule antérieure. Il faut alors réaliser la manœuvre de Couder qui consiste à abaisser le bras antérieur, prudemment, sans le casser ; l’épaule postérieure se dégage ensuite spontanément en relevant la tête vers le haut.
B-Conduite préventive
Il nous paraît important d’insister sur deux notions concernant le caractère rarement prévisible des dystocies et leur prévention réelle par la direction du travail.
1-Peut-on prévoir les dystociques par disproportion foot-pelviennes?
Il est encore classique d’essayer de pronostiquer l’existence d’une disproportion fœto-pelvienne par :
— l’examen échographique qui renseigne sur la dimension du diamètre bipariétal de l’enfant ;
— l’examen clinique du bassin et la radiopelvimétrie (que l’on peut maintenant remplacer de manière plus onéreuse par la tomodensitométrie) ;
— le célèbre diagramme de Magnin permet de déterminer les cas où la césarienne systématique doit être prévue, les cas où tout doit bien se passer et les cas douteux qui sont l’indication d’une «épreuve du travail» ;
— on entend simplement par épreuve du travail le fait d’attendre que la femme entre spontanément en travail et de réaliser une césarienne en cas de stagnation de la dilatation.
Une telle démarche est en fait illusoire et inutile.
Illusoire parce que :
— la mesure du BIP n’est pas d’une précision parfaite et qu’elle ne tient pas compte des phénomènes plastiques et d’asynclitisme auxquels est soumise la tête fœtale pendant l’accouchement ;
— l’examen clinique du bassin peut permettre de constater certaines anomalies du détroit supérieur mais ne permet pas d’affirmer avec certitude que l’accouchement sera impossible ;
— La radiopelvimétrie est imprécise et ses résultats dépendent beaucoup de la qualité du radiologue. Elle n’est plus indiquée aujourd’hui que dans les grandes viciations pelviennes qui ont en fait disparu.
Inutile parce que :
— La mécanique obstétricale est imprévisible. Il ne faut pas confondre la mécanique obstétricale avec un jeux éducatif pour enfants du premier âge. Ce n’est pas parce qu’on connaît les dimensions du bassin et celles de la tête fœtale, à supposer que cela soit possible avec précision, que l’une s’emboîte nécessairement dans l’autre. Ce serait ignorer les phénomènes d’accomodation et de flexion qui sont nécessaires à l’accouchement, car la tête passe toujours de justesse. Qui n’a jamais vu de petits fœtus refuser de passer dans un bassin où un beaucoup plus gros était passé précédemment ? Le petit a pu simplement refuser de baisser la tête…
— Il faut donner leur chance aux enfants de naître normalement. Tous les accouchements doivent être considérés comme une épreuve du travail. Faire une césarienne systématique en dehors de tout travail sur des données radiopelvimétriques, c’est probablement l’occasion de faire de temps en temps des césariennes inutiles.
En pratique nous préconiserions donc la conduite à tenir suivante : Lors de l’examen clinique de la première quinzaine du 9e mois, deux situations sont possibles : ou bien le col est mûr et l’ensemble des conditions locales permettent un déclenchement du travail, et il faut déclencher (dans la 39e ou 40e semaine d’aménorrhée). Une telle situation permet d’éliminer une disproportion fœtopelvienne majeure car dans ce cas la tête serait inaccessible et le col non mûr, mais n’élimine cependant pas une discrète anomalie du bassin qui se manifestera éventuellement en cours de travail, (tout comme lors de la classique épreuve du travail) et imposerait alors une césarienne. Ou bien le col n’est pas mûr et il faut attendre un peu. À partir de la 41e semaine un col non mûr est une situation pathologique.
2-La direction précoce et efficace du travail
La meilleure prévention des dystocies dynamiques, avant qu’elles soient devenues irréductibles, est la direction du travail. Lacomme prédisait, il y a 40 ans : «les obstétriciens des années à venir seront des directeurs contrôlant à tout moment la marche du travail pour ramener vers la physiologie ce qui s’en écarte, tout en dispensant largement l’analgésie».
On ne peut pas mieux dire ! Diriger le travail à tout moment cela veut dire aujourd’hui :
— déclencher le travail lorsque cela est possible. C’est la forme la plus achevée de la direction du travail ;
— et si le travail a débuté spontanément, y appliquer dès que possible les mêmes méthodes de direction qu’en cas de déclenchement, c’est-à-dire, dès l’admission en salle de travail : rupture des membranes, perfusion d’ocytocique selon les règles habituelles, et anesthésie péridurale.