Si l’on excepte les accidents liés à l’extraction du fœtus, la souffrance fœtale aiguë est un état qui est est la conséquence de la perturbation des échanges gazeux fœto-maternels au cours du travail. Elle représente pour le fœtus un risque mortel immédiat et la menace de séquelles à long terme : infirmité psychomotrice et retard intellectuel.
Traiter et surtout prévenir la souffrance fœtale aiguë doit, pour ces raisons, être le premier souci de l’obstétrique actuelle.
I-LES BESOINS DU FŒTUS EN OXYGÈNE
Les besoins en oxygène du fœtus sont deux fois supérieurs à ceux de l’adulte en raison de l’immaturité des systèmes enzymatiques fœtaux et à la pauvreté en mitochondries. La réserve d’oxygène dont dispose un fœtus de 3 kg est de 36 ml et représente une avance d’oxygénation de deux minutes. Un apport régulier d’oxygène lui est donc indispensable.
II-LES ORIGINES DE L’ANOXIE FŒTALE
L’anoxie fœtale peut provenir :
— soit d’une diminution du débit sanguin placentaire: L’interruption de la circulation utéro-placentaire lors d’une contraction est habituellement de 10 à 20 secondes et le fœtus la tolère bien. Cela n’est plus le cas s’il existe une hypercinésie de fréquence, une hypertonie ou une perturbation chronique du débit placentaire comme cela s’observe dans les situations de souffrance fœtale chronique. De même, cela n’est plus le cas lors de la phase d’expulsion qui s’accompagne d’une acidose métabolique. Plus l’expulsion est longue, plus l’acidose métabolique est importante entraînant une chute rapide du pH.
La chute de la tension artérielle de la mère, lorsqu’elle descend au-dessous d’un certain seuil, est susceptible de provoquer une chute brutale du débit placentaire, alors qu’une hypotension modérée n’aura que peu d’effet.
Lors du «syndrome cave» qui peut s’observer lorsque la mère est en décubitus dorsal : la compression de la veine cave inférieure par la masse de l’utérus gravide peut provoquer parfois une hypotension maternelle sévère. Ce phénomène ne se produit pas s’il existe une circulation collatérale efficace.
— soit de la transmission au fœtus d’une acidose maternelle: contractions, hémorragie, fièvre, cardiopathies, hyperventilation maternelle, etc.
III-LES EFFETS DE L’ANOXIE SUR LE FŒTUS
L’anoxie provoque des troubles métaboliques, eux mêmes responsables de perturbations hémodynamiques.
-Perturbations métaboliques
Le manque d’oxygène implique une utilisation plus importante de glucose. La source naturelle de glucose ayant plutôt tendance à se tarir du fait de la diminution des échanges fœto-placentaires, le fœtus doit faire appel à ses réserves en glycogènes. Ce catabolisme glucidique se fait par la voie anaérobie et provoque une acidose métabolique avec production d’acide lactique. En outre la diminution des échanges fœto-placentaires gène l’élimination du CO2 vers la mère qui s’accumule chez le fœtus. À l’acidose métabolique s’ajoute ainsi une acidose gazeuse, due à l’hypercapnie. Pour lutter contre cette acidose, le fœtus met en jeu ses systèmes tampon, essentiellement constitués par l’hémoglobine. Lorsqu’ils sont saturés, le pH chute brutalement.
-Perturbations hémodynamiques
-La bradycardie est la réaction habituelle du cœur fœtal à l’anoxie. Il s’agit exceptionnellement d’une tachycardie.
-Il se produit une adaptation circulatoire à l’anoxie qui sacrifie les territoires tels que poumons, reins, intestin, rate, peau et muscles au profit du cœur, du cerveau et des surrénales. Par contre, les mécanismes d’autorégulation qui permettent normalement de maintenir un débit cérébral constant sont perturbés, ce qui favorise les hémorragies cérébro-méningées. La souffrance ischémique du tube digestif se traduit par l’émission de méconium responsable des liquides teintés ou franchement méconiaux. À la naissance, peuvent s’observer certains troubles anoxiques résiduels : lésions d’ischémie rénale, ictère, persistance de la circulation fœtale.
IV-ÉTIOLOGIES
LES CAUSES UTÉRINES
Ce sont :
— les hypercinésies d’intensité ;
— les hypercinésies de fréquence ;
— les hypertonies ;
— et d’une manière générale les stagnations de la dilatation.
LES CAUSES MATERNELLES
Elles ont toutes pour effet de provoquer une diminution d’apport en oxygène au placenta. Ce sont :
— le diabète ;
— l’hypertension artérielle gravidique ;
— le syndrome cave ;
— les états de choc, notamment par hémorragie ;
— les chutes brutales de tension liées à la prescription abusive d’hypotenseurs chez une hypertendue ;
— les anémies maternelles sévères ;
— les cardiopathies décompensées ;
— l’insuffisance respiratoire sévère ;
— l’anoxie aiguë, par accident d’intubation lors d’une anesthésie générale par exemple.
LES CAUSES ANNEXIELLES
— L’hématome rétroplacentaire.
— Les anomalies funiculaires : circulaire serré, nœud, procidence.
LES CAUSES FŒTALES OU OBSTÉTRICALES
Tous les enfants déjà fragilisés sont plus sensibles à l’anoxie :
— les prématurés ;
— les hypotrophes ;
— les jumeaux ;
— les fœtus infectés ;
— les fœtus anémiés ;
— les accouchements par le siège ;
— les grossesses à partir de la 41e semaine comportent un risque accru de souffrance fœtale qui devient ensuite majeur et proportionnel à la durée de la prolongation de la grossesse.
V-DIAGNOSTIC
Le diagnostic de la souffrance fœtale aiguë en cours de travail n’est pas toujours très aisé car il ne peut reposer que sur trois types d’éléments qui doivent être interprétés avec soin et toujours en fonction du contexte clinique :
— l’apparition d’un liquide méconial ;
— les anomalies du rythme cardiaque fœtal ;
— l’étude du pH fœtal ;
L’aspect de l’enfant à la naissance peut venir confirmer le diagnostic.
A-LE LIQUIDE MÉCONIAL
L’émission de méconium dans le liquide amniotique est une conséquence de l’anoxie. Elle s’explique par des phénomènes de vasoconstriction locale et par l’excitation du parasympathique entraînant une activation du péristaltisme intestinal et un relâchement du sphincter anal.
Un liquide déjà teinté en début de travail traduit une souffrance fœtale chronique et c’est surtout la survenue d’un liquide méconial en cours de travail qui a de la valeur. Ce signe est intéressant à noter mais n’est pas pathognomonique de la souffrance fœtale. Il n’a en outre pas de signification en cas de présentation du siège.
B-LES ANOMALIES DU RYTHME CARDIAQUE FŒTAL
1-Analyse visuelle
Le monitorage continu de la fréquence cardiaque fœtale couplé à l’enregistrement des contractions doit être systématique chez toute femme en travail. Il représente d’ailleurs un intérêt médico-légal certain.
Par rapport au rythme cardiaque normal on peut observer diverses anomalies.
-Modifications des variations de rythme
-Les accélérations
Des accélérations temporaires en rapport avec une contraction ne sont pas inquiétantes.
Une tachycardie permanente a par contredes significations plus péjoratives et peut traduire :
-une fièvre maternelle ;
-une infection fœtale ;
-l’administration de certaines drogues ( bêtamimétiques, atropine) ;
-une souffrance fœtale.
-Les ralentissements
Ils peuvent être de divers types et plusieurs classifications existent. Schématiquement on distinguera:
– les ralentissements précoces, à peu près synchrones de la contraction utérine avec un début, un maximum et une fin correspondant à la contraction utérine. Ils sont généralement peu inquiétants et sont dus à un mécanisme réflexe provoqué par la compression de la tête fœtale. Ainsi sont-ils favorisés par l’engagement de la tête, la rupture des membranes, l’expulsion.
-Les ralentissements tardifs, ont un début, un maximum et une fin décalés dans le temps par rapport à la contractions utérine. Ils sont, eux, directement liés à l’anoxie induite par les contractions utérines. Leur aspect s’explique par le fait que l’hypoxie fœtale atteint son maximum à la fin de la contraction ; c’est donc le moment où le ralentissement atteint, lui, son maximum. L’interprétation doit tenir compte :
-On tient compte aussi de l’amplitude du ralentissement :
— inférieur à 30 Bpm (battements par minute) à partir d’un rythme cardiaque basal normal, le pronostic est peu grave ;
— entre 30 et 60 Bpm, il est plus inquiétant ;
— et au-delà de 60 Bpm, il constitue un signe d’alarme;
et aussi de la durée de remontée du ralentissement :
— si elle est brève dessinant un aspect symétrique du ralentissement, le pronostic est meilleur que
— si elle est lente ;
— plus la surface occupée par le ralentissement est importante, plus le tracé est pathologique.
–Les ralentissements variables pouvant combiner des ralentissements précoces et tardifs, ou n’avoir aucun rapport avec les contractions. Là encore, c’est la surface du ralentissement qui constitue l’aspect péjoratif.
En pratique les anomalies du rythme cardiaque fœtal constituent un signe d’alarme qu’il ne faut en aucun cas négliger. Elles ne sont cependant pas parfaitement corrélées avec l’état de l’enfant à la naissance et l’introduction massive du monitorage obstétrical dans les maternités françaises s’est accompagnée d’un accroissement brutal du taux de césariennes effectuées pourdes “souffrances fœtales” détectées sur les enregistrements. Il s’est avéré qu’un certain nombre de ces césariennes est effectué à tord comme si certains enfants supportaient mieux l’anoxie que d’autres. Certains naissent en effet avec des lésions cérébrales graves alors que d’autres sont indemnes. Il faut donc interpréter les tracés :
-avec une certaine expérience obstétricale et ne pas intervenir pour la moindre anomalie ;
-en fonction du contexte clinique de lagrossesse et de l’évolution du travail ;
-et si possible en fonction du pH fœtal qui est finalement le seul moyen d’évaluer les réserves du fœtus en oxygène et donc de déterminer au mieux s’il y a lieu d’interrompre le travail.
2-Des analyses automatisées sont possibles comme le système Oxford.
C-LA MESURE DU pH FŒTAL OU DES LACTATES AU SCALP
Un pH < 7,20 ou lactates > 5 mmol/l constitue une indication d’extraction fœtale sans délai.
On retiendra
pH normal > 7,25
pré-acidose 7,20 – 7,25
acidose grave < 7,20
lactates pathologiques > 3,3 mmol/l
La mesure des lactates au scalp par microméthode semble avoir une valeur diagnostique comparable à celle du pH au scalp. Elle est techniquement plus simple, prélève moins de sang, avec un moindre taux d’échecs par rapport à la réalisation d’un pH au scalp. Néanmoins, il n’existe pas à l’heure actuelle d’étude permettant de montrer une réduction des interventions obstétricales ou une amélioration de l’état néonatal grâce à cette méthode.
À la naissance le même prélèvement sera réalisé au cordon. Il y a acidose lorsque le pH est inférieur à 7,18. par ailleurs l’état du foetus est coté sur le score d’Apgar.On considère comme pathologiques les scores inférieurs à 7.
D-L’OXYMETRE DE POULS
L’oxymétrie semble avoir de nombreux avantages théoriques à faire valoir sur le pH au scalp : caractère non invasif, mesure continue, facilité d’utilisation. L’utilisation de l’oxymétrie dans le respect du protocole permet d’être moins agressif pour la surveillance du travail en réduisant le nombre de pH au scalp. Une saturométrie fœtale supérieure à 40 % peut être considérée comme rassurante sans grever l’état néonatal quel que soit le rythme cardiaque fœtal. En revanche, le seuil discriminant devant permettre de choisir entre l’extraction ou l’intensification de la surveillance reste à définir.
VI-CONDUITE A TENIR
A-SALVATRICE
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que tout accouchement doit se dérouler en milieu obstétrical spécialisé disposant d’un personnel compétent et des moyens techniques de surveillance et d’intervention nécessaires. Il faut donc combattre et condamner la mode de l’accouchement à domicile.
Devant une souffrance fœtale aiguë en cours de travail, de petits gestes s’imposent d’emblée :
— mise de la mère en décubitus latéral gauche afin de décomprimer la veine cave ;
— apport d’oxygène à la mère (connaissant le risque d’une hyperventilation) ;
— apport de sérum glucosé hypertonique à la mère.
Si les signes de souffrance fœtale ne s’amendent pas rapidement et surtout si le pH descend au-dessous de 7,25, il faut pouvoir extraire l’enfant d’urgence. Le mode d’extraction va dépendre du stade du travail et de sa vitesse d’évolution. La césarienne reste le mode d’extraction habituel mais nécessite un minimum de temps d’intervention jusqu’à l’extraction de l’enfant. Il faut donc aussi savoir, en fin de travail, si les conditions obstétricales sont bonnes, choisir la voie basse avec une aide instrumentale type forceps.
B-PRÉVENTIVE
Le mieux est d’éviter de se trouver confronté à une souffrance fœtale aiguë en cours de travail dont les conséquences sur l’enfant sont imprévisibles.
-Le déclenchement systématique du travail avant la 41e semaine d’aménorrhée est un facteur préventif capital. Il a en effet été démontré que, même en dehors de tout contexte de grossesse à risque, le fait de naître à partir de la 41e semaine comporte un risque de souffrance fœtale et de morbidité qui va ensuite croissant avec le temps. Si toutes les patientes accouchent avant cette date, un grand nombre de souffrances fœtales sont évitées.
Par ailleurs le déclenchement du travail, par le fait qu’il implique une meilleure direction du travail, évite certains phénomènes de dystocie dynamique qui sont eux-mêmes parfois source de souffrance fœtale. Il permet également le dépistage des souffrances fœtales de début de travail.
-La césarienne systématique avant tout début de travail doit parfois être faite dans certaines situations pathologiques afin de ne pas prendre le risque de déclencher sur certains fœtus à risques une souffrance fœtale aiguë (diabète non équilibré, souffrance fœtale chronique grave, présentation du siège, etc…).
C-MESURES A LA NAISSANCE
Outre le score d’Apgar on dispose des mesures du pH ou des lactates au niveau de l’artère ombilicale ou
la veine ombilicale.
Les normes au niveau de l’artère ombilicale:
pH 7,28 ± 0,05 (minimum accepté : 7,12)
PCO2 6,4 kPa ± 0,7
PO2 2,4 kPa ± 0,7
Bicarbonates 22,3 mEq ± 2,5
Base Exess – 8 mEq/l (1-12)
Les normes au niveau de la veine ombilicale:
pH 7,35 ± 0,05
PCO2 5 kPa ± 0,7
PO2 3,8 kPa ± 0,8
Bicarbonates 20,5 mEq ± 4
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