Stéroïdes prénatals et orientation sexuelle

Sous l’influence de théories psychanalytiques freudiennes et postfreudiennes, il est couramment admis que l’orientation hétéro- ou homosexuelle d’un individu est essentiellement, voire exclusivement, le résultat d’apprentissages et d’interactions sociales qui se déroulent dans la petite enfance. Ces théories qui n’ont rien de scientifique sont aujourd’hui contredites par de nombreuses études qui suggèrent fortement, voire démontrent, que l’homosexualité dépend largement de déterminants hormonaux et génétiques, prénatals. 

Chromosomes sexuels, testostérone et développement sexué

Initialement, les embryons, tant XX qu’XY, sont bipotentiels en ce qui concerne le sexe phénotypique, mais c’est l’information portée par le chromosome Y qui déclenche l’activation des testicules fœtaux ; à 8 semaines de gestation, ils produisent des androgènes, notamment de la testostérone, à des taux similaires à ceux du mâle adulte. Par contre, les ovaires fœtaux ne produisent que peu de testostérone. Il en résulte une différence sexuelle marquée dans le taux de testostérone au cours de la gestation dans l’espèce humaine.

Avant la naissance, la testostérone agit, via les récepteurs aux androgènes, sur l’ébauche génitale primordiale qui conduira au développement du pénis et du scrotum plutôt qu’à celui du clitoris et des lèvres. La présence, dans le cerveau en développement, de récepteurs à la testostérone et autres androgènes, permet aux hormones de modeler le développement du cerveau, orientant le comportement ultérieur tout au long de la vie. Les preuves initiales de ces effets sont surtout basées sur l’expérimentation chez le rongeur. On sait qu’exposer des animaux femelles à la testostérone au cours du développement précoce induit un comportement mâle chez l’adulte ; à l’inverse, inhiber la production de cette hormone lors du développement du mâle conduit à l’effet opposé. Ces effets sur les comportements semblent dépendants de la testostérone et de ses dérivés qui contrôlent les processus basiques de développement du cerveau chez les rongeurs, permettant ainsi à certains neurones de vivre ou de mourir, déterminant leurs connexions et la nature de leur identité neurochimique. Des manipulations hormonales précoces ont aussi été effectuées chez d’autres espèces, y compris des primates non humains, et ont conduit à des résultats similaires, suggérant que le comportement humain dépendant du sexe serait le reflet de l’imprégnation du cerveau par la testostérone au cours de la vie précoce.

Le schéma ci-dessus résume l’action organisatrice des stéroïdes sexuels sur les comportements reproducteurs des rats mâles et femelles. Le phénotype comportemental de type femelle se développe spontanément en l’absence de stéroïdes alors que la masculinité n’apparaît que sous l’action de la testostérone (via son aromatisation en estradiol –E2-). On confirme cela expérimentalement de la manière suivante :
-masculinisation des femelles en les traitant pendant deux semaines entourant la naissance avec de la testostérone ou avec un estrogène ;
-empêchement de la masculinisation des mâles par une castration néonatale CX) ou par un traitement empêchant l’action de la testostérone et de l’estradiol qui en dérive dans le cerveau des embryons.
On peut ainsi complétement inverser le phénotype comportemental mâle ou femelle de ces animaux à l’âge adulte.

Effets organisateurs de la testostérone sur le cerveau

Pendant la vie embryonnaire les stéroïdes sexuels différencient la taille de plusieurs structures du cerveau, dont le noyau sexuellement dysmorphique de l’aire préoptique (SDN-POA, une région basale du cerveau située à l’avant du croisement des nerfs optiques. Ce groupe de cellules est 5 à 6 fois plus volumineux chez le rat mâle que chez la femelle et cette différence résulte de l’action de la testostérone pendant la fin de la vie embryonnaire et les premiers jours de vie post-natale. Une fois acquise, la taille du SDN-POA, qui est carcatéristique d’un sexe, ne peut plus être modifiée à l’âge adulte par les hormones stéroïdes. Cette zone de l’aire préoptique, cible privilégiée de la testostérone, est présente chez tous les vertébrés étudiés ce jour.

Arguments en faveur de l’action hormonale  pendant la vie embryonnaire

Pour  le Pr. Jacques Balthazart (Stéroïdes sexuels prénataux et orientation sexuelle. Références en Gynécologie Obstétrique, Vol.17, N°1. 2018.), il y a deux types d’arguments.

A- L’étude des caractéristiques sexuellement différenciées

Il est presque impossible, pour des raisons pratiques, de déterminer le milieu hormonal à laquelle une personne a été exposée au cours de la vie embryonnaire. 
On peut cependant recueillir des informations indirectes sur ce milieu par l’étude chez les adultes de traits phénotypiques qui sont connus pour être influencés d’une manière permanente par la testostérone embryonnaire. Un grand nombre d’études ont comparé ces traits entre populations homo- et hétérosexuelles et trouvé des différences statistiquement significatives suggérant fortement que les populations homosexuelles avaient été exposées à des conditions hormonales légèrement différentes de la moyenne au cours de leur vie précoce. 

Ces différences concernent des traits :
    1- morphologiques: 

        a-les doigts

Les recherches ont montré que la longueur de l’index est directement influencée par la quantité d’estrogènes chez le fœtus humain, tandis que la longueur de l’annulaire serait influencée par la testostérone. Outre le niveau d’exposition à l’une et l’autre de ces hormones, on a constaté que l’annulaire renferme davantage de récepteurs à la testostérone, ce qui suggère que plus ces récepteurs reçoivent des concentrations élevées de testostérone, plus ce doigt se développe au cours de l’embryogenèse. La longueur relative de l’index (D2) et de l’annulaire (D4) (rapport plus petit masculinisé chez les lesbiennes par comparaison avec les femmes hétérosexuelles). Donc la longueur de ces deux doigts serait un indice renseignant sur le degré d’exposition aux hormones sexuelles au stade fœtal, ce qui pourrait expliquer un certain nombre de différences de comportements.

       b-Les os des jambes.  

Considérant la longueur relative des os longs dans les jambes, les bras et les mains (os plus courts dans les gays et les femmes qui sont attirées par les hommes que chez les hommes et les lesbiennes qui sont attirés par les femmes), et la taille de plusieurs structures du cerveau, y compris c ) le noyau surprachiasmatique (plus volumineux chez les gays que chez les hommes hétérosexuels), d) la commissure antérieure (plus grande chez les gays que chez les hommes hétérosexuels) et enfin e) le noyau interstitiel de l’hypothalamus antérieur numéro 3 (INAH3; 2-3 fois plus volumineux et ayant une densité en neurones plus grande chez les hommes hétérosexuels que chez les homosexuels).

    2- physiologiques

a-plusieurs aspects de la physiologie de l’oreille interne, en particulier les petits bruits produits par l’oreille interne dits émissions oto-acoustiques (moins fréquentes et de plus faible amplitude chez les hommes et les lesbiennes que chez les femmes hétérosexuelles) , 

b-la rétroaction des stéroïdes œstrogéniques sur la sécrétion de l’hormone lutéinisante (rétroaction positive faible après injection d’une forte dose d’œstrogènes chez les gays, mais pas chez les hommes hétérosexuels), et 

c-l’activation du cerveau détectée par l’imagerie en résonance magnétique (IRM) ou la tomographie par émission de positons (TEP) en réponse aux odeurs typiques masculines ou féminines (réaction des hommes gays à odeurs mâles contrairement aux hommes hétérosexuels et manque de réaction des lesbiennes à des odeurs mâles contrairement aux femmes hétérosexuelles).

    3- comportementaux dont le comportement agressif (gays moins agressifs que les hommes hétérosexuels), les tâches visuo-spatiales (gays moins performants que les hommes hétérosexuels), la fluidité verbale (gays plus fluides que les hommes hétérosexuels), et la mémorisation de l’emplacement des objets (meilleurs résultats chez les gays que les hommes hétérosexuels).

Fait intéressant, dans tous ces cas sauf un (le volume du noyau suprachiasmatique), la modification présente chez les gays ou les lesbiennes les rend plus semblables à des sujets hétérosexuels du sexe opposé, ce qui suggère qu’ils ont été exposés à des influences endocriniennes qui étaient typiques de cet autre sexe. 

B-L’analyse des cas cliniques

Un certain nombre de pathologies humaines sont associées à des modifications importantes de l’environnement endocrinien embryonnaire. 
De nombreuses études ont démontré que ces changements endocriniens précoces sont associés à des changements dans l’incidence de l’orientation homosexuelle. 
Cette conclusion est en particulier bien fondée dans trois cas distincts : 

    1-les filles souffrant d’hyperplasie congénitale des surrénales (CAH) qui sont exposées in utero à des niveaux anormalement élevés d’androgènes et présentent une incidence significativement accrue d’orientation homosexuelle.  La plupart des femmes exposées au cours du développement prénatal à des taux de testostérone élevés, , sont hétérosexuelles ; cependant, d’une manière générale, elles montrent un intérêt réduit pour les relations hétérosexuelles et, au contraire, un intérêt accru envers des partenaires de même sexe. De plus, ces changements d’orientation sexuelle semblent corrélés à la sévérité du tableau d’hyperplasie surrénalienne suggérant une relation dose-réponse. D’autres comportements liés à l’exposition prénatale à la testostérone incluent la notion même d’identité sexuelle (sens profond du genre mâle ou femelle) : agression sexuelle ou empathie.

Les femmes présentant une  hyperplasie congénitale des surrénales  ont, au niveau des noyaux de l’amygdale, un fonctionnement cérébral de type mâle devant un visage exprimant une émotion négative, or cette région du cerveau est décrite comme une zone liée au comportement agressif. De plus, on sait, chez d’autres mammifères, que cette zone contient des récepteurs aux androgènes et que son développement est contrôlé par les androgènes.

    2- Les filles nés de mères qui avaient été traitées avec du diéthylstilbestrol (DES) et qui montrent également une augmentation significative des activités bi- ou homo-sexuelles et de fantasmes sexuels non-hétérosexuels. 

    3- Les patients masculins atteints de dystrophie cloacale qui, bien que de sexe génétique XY, ont été soumis à une vaginoplastie et élevés comme filles. Dans environ la moitié des cas, ces sujets adoptent à l’âge adulte une identité masculine et une orientation sexuelle mâle typique, suggérant à nouveau une influence significative de leur exposition embryonnaire aux androgènes.

    4- La preuve majeure du rôle essentiel de l’imprégnation androgénique précoce sur le comportement humain provient des études portant sur les jeux des enfants. Par exemple, des fillettes exposées à des taux androgéniques élevés au cours de leur vie intra-utérine en raison de désordres génétiques tels que l’hyperplasie congénitale surrénalienne, ont plus d’attirance pour les jouets traditionnels de garçon, petites voitures et armes, que pour les poupées. Elles sont aussi attirées par des activités de garçon, et jouent préférentiellement avec eux. Les variations normales de l’exposition prénatale à la testostérone peuvent aussi être reliées au comportement futur de l’enfant. Un exemple étonnant montre que les mères de fillettes très  » féminines  » présentent des taux de testostérone plus faibles durant la grossesse que celles de filles très  » garçons « . Le taux de testostérone du liquide amniotique est aussi un élément indicateur du futur comportement de l’enfant. Les recherches corrélant le choix des jouets par l’enfant en fonction de l’exposition prénatale à la testostérone remettent en cause la notion selon laquelle l’attirance pour les jouets dits  » de garçon  » ou  » de fille  » dépend de l’éducation et du contexte social. Il faut souligner que les primates non humains montrent des préférences similaires à celles des humains en ce qui concerne les jouets à caractère sexuellement orienté, suggérant que les choix préférentiels des filles et des garçons font partie de notre patrimoine ancestral.
Malgré les limitations évidentes liées à ce type d’études, prises ensemble celles ci fournissent un faisceau d’arguments indiquant que des influences endocrines prénatales fortes sont impliquées dans le contrôle de l’orientation sexuelle humaine. 
Une compréhension de ces mécanismes biologiques devrait conduire à une acceptation plus large de l’homosexualité dans la population et réduire la souffrance des personnes concernées.

Causes de ces perturbations hormonales

L’origine de ces variations de testostérone pourraient trouver leur origine dans des événements extérieurs touchant la mère pendant sa grossesse.

On a ainsi incriminé le stress prénatal. On a montré que si l’on stresse des rattes gestantes, la différenciation sexuelle des jeunes mâles issus de ces mères  est nettement affectée. Ils ont  à la naissance une distance  ano-génitale  plus faible que la normale et à l’âge adulte ils ont des comportements sexuels atypiques. Ils ont donc une absence partielle de masculinisation et de déféminisation. L’analyse de l’état endocrinien de ces embryons à montré que leur concentration de testostérone était diminuée et qu’en plus l’activité aromatasique (qui transforme la testostérone en estradiol), était inhibée dans les noyaux leur aire pré-optique. Ces noyaux pré-optiques semblent en effet être impliqués dans le contrôle de l’orientation sexuelle (Paredes et al., 1998) Considérant ces résultats et ceux de diverses études épidémiologiques, et considérant que l’homosexualité  masculine étant essentiellement due à un défaut de masculinisation, certains ont émis l’hypothèse que les hommes homosexuels pouvaient être nés de mères qui avaient été  particulièrement stressées pendant leur grossesse et tout particulièrement au cours du premier trimestre.   Toutefois, actuellement, la transposition à l’espèce humaine du rôle du stress n’est pas encore formellement établi et nécessite plus d’études.

On a également mis en cause des facteurs génétiques. Une liaison de l’homosexualité masculine avec un marqueur  sub-télomérique localisé sur le bras long du chromosome X dans la région appelée Xq28. Des associaions avec l’homosexualité masculine ont également été  identifiées avec des régions des chromosomes 7. Mais à ce jour, aucun gène spécifiquement responsable. On peut penser que plusieurs gènes doivent interagir, soit entre eux, soit avec l’influence du milieu.

Hormones et conséquences psychiatriques

Certains états psychiatriques sont liés au sexe, suggérant un rôle de l’exposition prénatale aux hormones. Par exemple, on note une prévalence des cas de syndrome autistique (SA) et de problèmes d’apprentissage chez les garçons, tandis que la dépression serait plus liée au sexe féminin. L’exposition prénatale aux androgènes est corrélée à certains traits psychologiques eux-mêmes liés au SA, tels que l’empathie. Cependant, les individus exposés à des taux élevés d’androgènes en raison de CAH ne semblent pas présenter un risque accru de SA. Les troubles envahissants du développement, tels que le SA, pourraient être un domaine où les effets génétiques directs liés au chromosome X seraient plus importants que les effets des hormones sexuelles.

Que reste-t-il du rôle de l’éducation?

Les hormones et les chromosomes sexuels ne sont pas les seuls facteurs influençant l’apparition de comportements humains liés au sexe. Par exemple, les enfants miment le comportement de leurs camarades de même sexe et, quand on leur parle de choses de  » filles  » ou de choses de  » garçons « , ils montrent de l’intérêt pour les choses dont on leur a dit qu’elles concernaient plutôt leur sexe. Il est surprenant de noter que, dans une certaine mesure, les différences observées entre sexes et individus pour des jeux ou des comportements d’ordre sexuel sont innées.La testostérone sculpte le cerveau avant la naissance pour prédisposer les individus à certains penchants après la naissance, mais ces penchants peuvent être influencés ultérieurement par des expériences.

Conclusion

Le sexe génétique (XY ou XX) détermine le sexe de la gonade qui par ses secrétions hormonales détermine le sexe phénotypique. 

Des perturbations hormonales concernant le niveau de testostérone au cours du développement embryonnaire sont associées à des modifications de l’orientation sexuelle à type d’homo ou bi-sexualité. Ces modifications siègent au niveau de noyaux pré-optiques du cerveau antérieur. Toutefois ces modifications ne concernent  qu’une fraction des sujets affectés (30 à 40%) et que donc 60 à 70% au moins de sujets gardent dans ces conditions leur orientation hétérosexuelle. On peut en conclure que  les hormones embryonnaires ne font que prédisposer le sujet à une orientation particulière et que celle-ci ne se développera pleinement  qu’en interaction avec des facteurs génétiques  et des facteurs liés au milieu et à l’éducation pendant l’enfance.

Références

Balthazart  J. Stéroïdes sexuels prénataux et orientation sexuelle. Références en Gynécologie Obstétrique, Vol.17, N°1. 2018.

 Balthazart, J., 2010. On nait homosexuel, on ne choisit pas de l’être. Editions Mardaga, Wavre, Belgique.

LeVay, S., 2011. Gay, straight, and the reason why. The science of sexual orientation. Oxford University Press, New York.

Ngun, T.C., Vilain, E., 2014. The biological basis of human sexual orientation: is there a role for epigenetics? Adv Genet 86, 167-184