Maladie de Crohn et grossesse

La maladie de Crohn est une maladie  inflammatoire chronique pouvant toucher tous les segments du tube digestif. L’iléon, le côlon et l’anus sont les segments les plus frèquemment atteints. Les lésions sont segmentaires, asymétriques, généralement profondes, séparées par des zones saines, et peuvent parfois être à l’origine de fissures, de  fistules et de  sténoses. La maladie évolue par poussées entrecoupées de pèriodes de rémissions (périodes calmes, sans symptômes).

I-Généralités sut la maladie de Crohn

    A-Les causes 

La maladie de Crohn fait partie des maladies auto-immunes.Il s’agit d’une anomalie de la réponse immunitaire de l’intestin vis-à-vis de composants de la flore intestinale survenant chez des sujets génétiquement prédisposés et sous l’influence de facteurs environnementaux.
Depuis 2001, où le premier gêne de susceptibilité à la maladie a été identifié  sur le chromosome 16, près d’une centaine d’autres gènes ont été mis en évidence. Néanmoins, il n’y a à ce jour aucune indication à effectuer une enquête génétique car la maladie n’est pas classée dans les maladies héréditaires. Les parents de sujets atteints de maladie de Crohn peuvent simplement être prévenus du faible sur risque qu’ils courent afin d’éviter de fumer (le tabac est le seul facteur de risque clairement identifié) et de consulter précocement en cas de symptômes digestifs évocateurs.
Les facteurs  environnementaux qui y contribuent semblent liés au mode de vie dans le pays industrialisés (alimentation, type de la flore intestinale, stress, tabac…)

Parmi tous les facteurs de risque le seul qui est clairement établi est le tabac, par des mécanismes encore inconnus. Mais aussi est évoqué le rôle éventuel d’une infection par un virus ou une bactérie (salmonella, campylobacter) dans le déclenchement de la maladie. Outre une infection par un microbe « extérieur », un déséquilibre de la flore intestinale (c’est-à-dire des bactéries naturellement présentes dans le tube digestif) pourrait aussi être en cause.

    B-Les signes de la maladie

Ce sont des douleurs abdominales, une diarrhée chronique (rarement glairo-sanglante) et l’amaigrissement. Il y a une carence nutritive par malabsorbtion. Le transit peut aussi être normal si la maladie ne touche pas le colon. Peuvent s’y associer une fièvre modérée et de la fatigue. Vomissements et constipations peuvent s’expliquer en cas d’obstruction partielle de l’intestin. L’apparition de fistules, lésions qui perforent le tractus gastro-intestinal jusqu’à atteindre un autre organe ou la surface de la peau est possible; Les lésions anopérinéales sont fréquentes et touchent plus d’1 malade sur 2 au cours de sa vie (fissures anales). Près d’un tiers des malades auront au cours de leur suivi, des symptômes extérieurs au tube digestif : aphtes, erythèmes, rhumatismes, atteintes hépatiques, oculaires, urologiques…Il y a enfin un risque accru de cancer colorectal.

La maladie de Crohn évolue par poussées entrecoupées de périodes de rémission qui peuvent durer plusieurs mois. Les crises se succèdent de façon assez imprévisible et sont d’intensité variable. Il arrive parfois que les symptômes soient tellement intenses (incapacité à s’alimenter, hémorragies, diarrhées, etc.) qu’une hospitalisation devient nécessaire.

    C-Le diagnostic

S’il peut être suspecté cliniquement, le diagnostic se fait sur la visualisation des lésions et/ou des biopsies du côlon (ou gros intestin) et de l’iléon (partie extrême de l’intestin grêle). Pour cela, plusieurs techniques d’imagerie du tube digestif sont utilisées pour mettre en évidence les lésions :

1-La coloscopie est principalement pratiquée devant des diarrhées chroniques. Elle permet d’examiner le colon, l’iléon terminal et de pratiquer des biopsies pour un examen anatomo-pathologique à la recherche de lésions évocatrices (granulome inflammatoire). En cas d’atteinte colique, le risque de cancer du côlon, plus élevé que dans la population générale, justifie une surveillance coloscopique régulière.

2-L’entéroscanner et surtout maintenant  l’entéro-IRM qui est la technique de choix.

3-L’entérocapsule (ou capsule endoscopique ou vidéo-capsule) de l’intestin grêle est indiquée en cas de suspicion de maladie de Crohn lorsque la coloscopie et l’entéro-IRM n’ont pas montré de lésion et que l’entéro-IRM a éliminé toute sténose de l’intestin grêle qui contre-indiquerait la vidéo-capsule : un résultat normal à la vidéocapsule élimine le diagnostic de maladie de Crohn.

    D-L’évolution par poussées

La maladie de Crohn évolue par poussées entrecoupées de périodes de rémission qui peuvent durer plusieurs mois. Les crises se succèdent de façon assez imprévisible et sont d’intensité variable. Il arrive parfois que les symptômes soient tellement intenses (incapacité à s’alimenter, hémorragies, diarrhées, etc.) qu’une hospitalisation devient nécessaire.

Bien pris en charge, les patients mènent une vie quasi-normale. Mais avec le temps, certaines complications peuvent apparaître :

        -Des complications digestives : sténose intestinale (réduction du diamètre de l’intestin), fistules, fissures anales, dénutrition, anémie…

        -Des répercussions psychologiques et professionnelles sont possibles du fait du caractère tabou et invalidant pendant certaines poussées.

        -Chez les plus jeunes : des retards de croissance, de puberté et des difficultés scolaires ont également été rapportées.

        -Enfin, on sait que ces patients présentent un risque de cancer colorectal plus important que la population générale. Des coloscopies régulières sont ainsi prévues pour détecter précocement un possible développement tumoral.

    E-Les traitements

Les traitements actuellement disponibles ont pour objectif le contrôle rapide des poussées et la prévention des récidives. Ils visent aussi à maintenir la qualité de vie des malades. Aucun traitement n’est en mesure de guérir complètement la maladie.

    -La première démarche thérapeutique à mettre en œuvre est l’arrêt définitif et complet du tabagisme, dont les effets nocifs sur la gravité et l’évolution de la maladie sont importants.

    -Sur le plan alimentaire, les patients ne sont pas astreints à un régime particulier en période de rémission, les recommandations étant d’avoir une alimentation équilibrée. Pendant les poussées en revanche, les médecins conseillent un régime sans fibres (éviter les fruits et légumes, la farine…), sans lait (mais avec yaourts et fromages) et sans polyols (tels que le sorbitol et autres édulcorants présents dans les sodas, gâteaux, bonbons, confitures… dits « sans sucre ») afin de limiter les douleurs, la diarrhée et le risque d’occlusion. Les poussées sévères avec dénutrition peuvent nécessiter une alimentation assistée.

    -Les dérivés aminosalicylés sont peu efficaces pour le traitement des poussées de maladie de Crohn. Leur rôle est important dans la diminution du risque de survenue de cancer colorectal en cas de forme colique.

    -Les corticoïdes constituent le traitement de base des poussées d’intensité moyenne ou sévères. Ils sont utilisés sur de courtes pèriodes, afin de limiter les effets secondaires. Les corticoïdes ne sont pas efficaces pour prévenir le risque de récidive. Ils ne doivent pas être utilisés en traitement d’entretien.

    -Les immunosuppresseurs se sont largement développés. Ils agissent de manière très ciblée sur certains composants du système immunitaire : l’azathioprine, le 6-mercaptopurine et le methotrexate sont les plus souvent prescrits en traitement d’entretien. Leur délai d’action étant de quelques mois, ils ne peuvent être utilisés seuls pour le traitement des poussées. Ils sont utilisés pour les formes évolutives ou de traitement difficile.

    -Les  inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale (TNF) ou biothérapies. Ce sont  l’infliximab (appelé Rèmicade en Europe) et l’adalimubab (Humira) sont des anticorps monoclonaux qui neutralisent le TNFalpha, une molécule inflammatoire produite en excès au cours de la maladie de Crohn. Le traitement peut être utilisé pour les poussées réfractaires, les formes fistulisantes et comme traitement d’entretien. 

    -Les antibiotiques comme le métronidazole et la ciprofloxacine sont prescrits pour traiter la prolifération de bactéries dans l’intestin grêle, provoquée par la sténose ou les fistules.

    -Les antidiarrhéiques ralentissent la traversée des aliments dans l’intestin.

    -Les antispasmodiques combattent les douleurs abdominales. Leur action contre les spasmes peut s’exercer au niveau des fibres nerveuses, des fibres musculaires, ou des deux.

    -Le traitement chirurgical est nécessaire en cas d’évolution défavorable de la maladie ou de la survenue de complications (sténoses, fistules, etc.) Elle ne constitue malheureusement pas un traitement définitif.

II-Maladie de Crohn et grossesse

A-Pendant la grossesse


    1-Les risques 

Si la Maladie inflammatoire Chronique) est en poussé au moment de la conception, il semble exister un risque que la maladie persiste pendant la grossesse. Ainsi, le risque de rechute de la rectocolite hémorragique ou de la Maladie de Crohn au cours de la grossesse est d’environ 25% si elles sont inactives au moment de la conception mais est d’au moins 50 % si au contraire elles sont actives.

Les femmes atteintes de cette affection doivent donc être informées d’éviter si possible une conception pendant une phase active de leur maladie.

Les risques  sur la grossesse, quelque soit l’évolutivité de la maladie sont les suivants, sachant qu’une chirurgie de résection antérieure et une atteinte iléale sont des facteurs prédictifs de complications durant la grossesse.:

-Risque de fausses couches spontanées,

-la prématurité,

-de petits poids à la naissance (poids < 2 500 g), 

-des retard de croissance intra-utérin 

.


Il s’agit donc de grossesses à risques dont le suivi doit être multidisciplinaire (gastro-entérologue, obstétricien, chirurgien colorectal).



2–les médicaments

Il est maintenant admis que les traitements médicamenteux en cours devraient être en général poursuivis pendant la grossesse, étant donné que les bénéfices pour la mère et le fœtus d’un maintien en rémission dépassent largement les risques liés aux traitements.

    a-Les Corticostéroïdes

La Prednisone (Cortancyl®) et la Prednisolone (Hydrocortancyl®, Solupred®) peuvent être utilisées sans restriction particulière. Ces produits sont préférés aux formes à longue durée de vie comme la bétaméthasone et la déxaméthasone. 

    b-La sulfasalazine (Salazopirine®) et le 5-ASA (Pentasa®, Rowasa® et Fivasa®) administrés à des doses inférieures à 3 g/j n’ont aucun effet indésirable spécifique au cours de la grossesse.
La sulfasalazine majore le risque de déficit en folates et compte tenu des besoins accrus en folates au cours de la grossesse et du risque d’anomalie du tube neural en cas de déficit en folates, une supplémentation en acide folique (1 mg x 2/j) est nécessaire chez les femmes traitées par sulfasalazine désireuses d’avoir un enfant et pendant la grossesse.

            c-L’azathioprine (Imurel®) et la 6-mercaptopurine (Purinethol®) sont responsables de lésions chromosomiques, de malformations et de pertes foetales chez l’animal. Ces risques n’ont pas été confirmés chez la femme aussi l’azathioprine est-il utilisé.

            d-Le Méthotrexate

Le méthotrexate est tératogène et responsable d’anomalies chromosomiques et d’avortements. Des malformations sévères ont été rapportées chez des nouveaux nés exposés pendant le 1er trimestre de grossesse. Il est donc contre-indiqué pendant la grossesse.

            e-La thalidomide (Thalidomid ®)  est hautement tératogéne et formellement contre-indiqué pendant la grossesse et l’allaitement.

            f-La Ciclosporine (Neoral®, Sandimmun®) :

La ciclosporine n’est pas tératogène mais elle expose à un risque de néphropathie tubulaire chez le foetus comme chez sa mère.

            g-L’infliximab (Remicade®) et l’adalimumab (Humira®)

Ils n’entraînent pas de risques particuliers de complications materno-foetales, Ce sont des anticorps monoclonaux qui traversent la barrière placentaire et peuvent rester dans le sang du nouveau-né jusque 6 mois après la naissance.
Tout vaccin à base de microorganismes vivants ou atténués, tels que la rougeole, la rubéole, les oreillons, la varicelle et le BCG sont donc contre-indiqués formellement. Il est donc recommandé dans ces cas d’attendre au moins 6 mois avant de vacciner l’enfant ou après un dosage négatif d’anticorps dans le sang du nouveau-né.

Il est recommandé pendant la grossesse de suspendre ces médicaments à la 30e semaine d’aménorrhée si et seulement si la patiente est en rémission. Dans le cas contraire, le traitement peut être poursuivi jusqu’à l’accouchement, avec les précautions qui s’imposent concernant la vaccination de l’enfant.


            h-Le certolizumab (Cimzia®) est un fragment Pégylé d’un anti-corps monoclonal humanisé, il ne peut donc traverser le placenta que par diffusion passive. Son utilisation peut donc être en theorie poursuivie pendant toute la grossesse. Même si aucune grossesse d’évolution defavorable ou d’effet teratogène n’ont été rapportés à ce jour, l’expérience avec cette molécule reste limitée.

    B-L’accouchement



L’épisiotomie peut être dangereuse chez des patientes atteintes de maladie de Crohn car elle expose particulièrement au risque de fistule recto-vaginales mais aussi de lésions ano-périnéales.

La présence de lésions ano-périnéales actives au moment de l’accouchement est une indication à un accouchement par césarienne, car ces lésions risquent d’être aggravées lors d’un accouchement par voie basse. 

L’existence d’une anastomose iléo-anale représente une contre-indication à un accouchement par voie basse, devant le risque de survenue de lésions au niveau du sphincter anal, qui peuvent alors entraîner une incontinence du réservoir.

Dans les autres cas, l’accouchement par voie basse est possible même s’il existe une colostomie ou une iléostomie.



    C-En cas d’allaitement maternel


Presque tous les médicaments utilisés pour traiter le Crohn passent dans le lait maternel. La décision d’autoriser l’allaitement maternel ou de conseiller un allaitement artificiel dépend de risques spécifiques.

Les aminosalicylés à base de 5 ASA Mésalazine (Pentasa®, Rowasa® et Fivasa®) et la Sulfasalazine (Salazopyrine®) sont compatibles avec l’allaitement. Ils peuvent entraîner très rarement une diarrhée chez le nourrisson. Dans ce cas, un arrêt du traitement est nécessaire pendant la période d’allaitement.

La Prednisone (Cortancyl®) et la Prednisolone (Hydrocortancyl®, Solupred®) sont compatibles avec l’allaitement. Certains recommandent que les mères attendent 4 heures entre la prise du médicament et l’allaitement.

Le budesonide oral (Entocort®, Rafton®) :
Il n’y a pas beaucoup de données disponibles sur son emploi pendant l’allaitement, mais il est couramment utilisé.

L’Azathioprine (Imurel®) et le 6-mercatopurine (Purinethol®) :
Ils sont théoriquement contre-indiqués en raison du risque potentiel de myélotoxicité, d’infections et de pancréatite chez le nourrisson.
Mais la majeure partie du produit est excrétée dans le lait maternel dans les 4 heures qui suivent la prise du traitement ;  on peut proposer de décaler l’allaitement de 6 heures par rapport à la prise du traitement mais pas de le contre-indiquer.

Le Methotrexate (imeth®) est hautement tératogéne et formellement contre-indiqué pendant la grossesse et l’allaitement.

La thalidomide (Thalidomid ®)  est également hautement tératogéne et formellement contre-indiqué pendant la grossesse et l’allaitement.

La Ciclosporine (Neoral®, Sandimmun®) est peu utilisée et il y a peu de recul. Chez les enfants allaités, les concentrations sanguines de ciclosporine sont indétectables. Aucun évènement particulier n’a été rapporté, à ce jour chez des enfants allaités de mère traitée par ciclosporine. Au vu de ces éléments, l’utilisation de la ciclosporine est possible chez la femme qui allaite.

L’Infliximab (Remicade®), l’Adalimumab (Humira®) et le Certolizumab (Cimzia®) sont compatibles avec l’allaitement.

Le Lopéramide (ArestaL®, Imodium®) :
La quantité de lopéramide ingérée via le lait est très faible : l’enfant reçoit en moyenne environ 0,1% de la dose maternelle en mg/kg. Au vu de ces données, l’utilisation du lopéramide est possible en cours d’allaitement.

La Ciprofloxacine (Ciflox®) est possible. La quantité de ciprofloxacine ingérée via le lait est très faible : l’enfant reçoit (en mg/kg) environ 3% de la dose pédiatrique. Aucun évènement particulier n’est retenu à ce jour chez des enfants allaités de mères traitées par ciprofloxacine.


Le Métronidazole (Flagyl®) :
Les données publiées chez les femmes enceintes exposées au métronidazole en cours de grossesse sont très nombreuses et rassurantes. Il existe de rares cas de diarrhées bénignes et de candidose buccale chez le nouveau-né dont les mères recevaient du métronidazole par voie IV et de l’ampicilline. L’allaitement est possible lors d’un traitement vaginal par métronidazole, en raison d’un passage systémique faible. L’allaitement est envisageable lors d’un traitement court par métronidazole per os ou IV (7 à 10 jours). En cas de traitement monodose, et si l’enfant ne prend plus le sein la nuit, on peut proposer de prendre le métronidazole juste avant la dernière tétée du soir. En effet, le pic de concentration du métronidazole dans le lait se produit environ 2 à 4 heures après la prise et sa demi-vie est d’environ 9 heures dans le lait.

    D-Après la grossesse



Il est habituellement considéré que la grossesse n’influence pas de manière significative l’histoire naturelle de la maladie de Crohn.