Placenta accreta

Le placenta accreta et sa forme extrême, le placenta percreta, sont des anomalies de l’insertion placentaire. Ils se caractérisent par une invasion du myomètre par les villosités trophoblastiques. C’est une pathologie rare, responsable d’une importante morbi mortalité foeto-maternelle. La prévalence est estimée à 1/2500. Histologiquement, le placenta accreta est dû à l’absence de caduque déciduale entre le placenta et le myomètre. Le diagnostic, théoriquement histologique, est le plus souvent clinique au moment de la délivrance, lorsqu’une délivrance artificielle ne retrouve pas le plan de clivage habituel, souvent dans un contexte hémorragique. 

Pendant longtemps, le traitement de référence en cas de placenta accreta a été l’hystérectomie. Actuellement, une stratégie thérapeutique conservatrice se développe pour tenter de préserver la fertilité ultérieure de patientes souvent encore jeunes.

I-Types anatomiques  

Il en existe trois types anatomiques :

    -le placenta accreta qui reste limité à la partie superficielle du myomètre

    -le placenta increta qui envahit en profondeur le myomètre, parfois dans sa totalité

    -le placenta percreta qui franchit la séreuse et s’étend en dehors de l’utérus, pouvant envahir les organes de voisinage.

Dans plus de 60% des cas, un placenta praevia y est associé.

II-Facteurs prédisposants

        -Antécédents utérins : césarienne ou de curetages ou d’IVG par aspiration, hystérorésections, cures de synéchies, endométrite, antécédent de placenta accreta, âge maternel >35ans.

        -Facteurs précédents associés à un placenta bas inséré, en particulier antérieur.

Chez de telles patientes, les signes échographiques de placenta accreta seront attentivement recherchés en antenatal et en cas de doute, la patiente sera adressée chez un échographiste référent dans une maternité disposant d’un plateau technique adapté.

III-Signes échographiques

L’échographie ciblée seule,associée au Doppler couleur, ,  réalisée en présence de facteurs de risque semble pertinente pour le diagnostic mais son interprétation n’est pas aisée. Une IRM  complémentaire n’apporte  que peu de bénéfice.

Les signes échographiques décrits dans la littérature sont principalement: 

    -La présence de lacunes intra placentaires. Il semblerait que ce soit le meilleur signe prédictif.Les lacunes ont généralement un aspect irrégulier, qui se manifeste sous la forme d’image anéchogène et donne un aspect de «gruyère» au placenta. Finger a établi une classification en 4 grades, le risque augmentant avec le grade.

            -Grade 0: pas de lacune.

            -Grade 1: 1 à 3 lacunes, en général de petite taille.

            -Grade 2: 4 à 6 lacunes de plus grande taille avec des irrégularités.

            -Grade 3: plus de 6 lacunes occupant toute l’épaisseur placentaire.

    -L’absence ou l’interruption d’un liséré hypoéchogène entre placenta et myomètre. Ce liséré représente la caduque basale. 

    -L’interruption de la zone hyperéchogène à l’interface de la séreuse utérine et de la vessie. La limite entre la vessie et le myomètre est normalement hyperéchogène et lisse. L’interruption de cette limite est un signe spécifique mais peu sensible. De même des  aspects de bombements vers la vessie peuvent être visibles et sont prédictifs d’un placenta accreta.

    -Amincissement du myomètre en regard de la vessie. Certains auteurs estiment qu’une épaisseur inférieure à 1 mm serait une mesure prédictive d’accreta.

L’échographie associée au Doppler couleur va permettre de visualiser la présence d’un flux vasculaire turbulent, artériel ou veineux dans les lacunes intra placentaires, de visualiser une vascularisation anormale pénétrant le myomètre et d’orienter le diagnostic.

Il est donc indispensable de réaliser une échographie-doppler en présence d’un facteur de risque tel qu’un utérus cicatriciel associé à un placenta prævia pour pouvoir mettre en place une prise en charge optimale et notamment conservatrice.

Toutefois malgré les performances de l’échographie quelques limites subsistent. Cette dernière nécessite avant tout un opérateur expérimenté dans le diagnostic de ce type de pathologie rare. Elle est très peu fiable lors des positions postérieures et dans l’évaluation de la profondeur de l’invasion des villosités placentaires.

L’IRM est un examen de deuxième intention. Elle apparaît complémentaire à l’échographie dans le dépistage prénatal, notamment dans les insertions postérieures, et permet de confirmer un diagnostic de placenta accreta. En effet, l’IRM effectuée avec une injection de produit de contraste permet une

meilleure visibilité de la limite entre le placenta et le myomètre et permettrait d’éliminer le diagnostic de placenta accreta évoqué lors de l’échographie-Doppler.

L’injection de gadolinium est une pratique très peu répandue en France compte tenu de la méconnaissance actuelle de ces potentiels effets secondaires sur le foetus.

IV-Conduite obstétricale

il semble raisonnable de proposer une césarienne-hystérectomie si la patiente n’a plus de désir de grossesse, a un âge avancé et est multipare. En revanche, si la patiente a un désir de grossesse, est jeune et nulli- ou primipare, un traitement conservateur est proposé.ces attitudes conservatrices  ont pour but de prévenir l’hémorragie «cataclysmique» et de préserver la fertilité ultérieure en conservant l’utérus. Deux situations sont à distinguer, selon que le diagnostic a été fait (ou fortement évoqué) en anténatal ou que le diagnostic est fait au moment de la naissance.

A-En cas de diagnostic fait en anténatal

En cas de forte suspicion anténatale, la stratégie de prise en charge est déterminée suite à une décision collégiale et un entretien avec la patiente; notamment sur son désir de grossesse ultérieure et sur les complications possibles liées à cette stratégie.

Lorsqu’un traitement conservateur est décidé; il est tout d’abord nécessaire de localiser la position du placenta.

Une césarienne est ensuite programmée, l’idéal étant  d’atteindre un terme supérieur à 36 semaines d’aménorrhées afin de réduire les complications liées à la prématurité. Cependant en cas de métrorragies à répétition ou de menace d’accouchement prématuré, l’accouchement devra être programmé à un terme plus précoce.

Le traitement consiste à réaliser une hystérotomie à distance de l’insertion placentaire. Après l’extraction du nouveau-né, une injection de 5UI d’ocytocine associée à une légère traction du cordon est tentée, éventuellement associée à un massage du fond utérin.

En cas d’échec, le placenta, considéré comme accreta, est laissé en place et le cordon est sectionné au niveau de son insertion placentaire.  L’utilisation du sulprostone et d’autres techniques hémostatiques telles que l’embolisation ou la ligature des artères sont discutées au cas par cas. Cependant une antibioprophylaxie par amoxicilline et acide clavulanique est mise en place systématiquement pendant dix jours.

En cas d’hémorragie non contrôlée, l’hystérectomie d’hémostase ne doit pas être retardée afin de ne pas augmenter le risque de complications maternelles.

Cette stratégie permet d’éviter une hystérectomie dans 75 à 80% des cas, mais présente selon les dernières études un risque infectieux et une morbidité maternelle non négligeables.

B- Si le diagnostic est fait lors de l’accouchement

Le traitement conservateur peut être décidé à la suite d’un accouchement par voie basse ou par césarienne:

Lors d’un accouchement par voie basse, s’il existe une rétention placentaire associée ou non à une hémorragie de la délivrance, une délivrance artificielle devra être effectuée. C’est l’impossibilité de cette délivrance liée à l’absence de zone de clivage qui posera alors le diagnostic de placenta accreta.

De même au cours d’une césarienne, la délivrance artificielle semble impossible et souvent accompagnée de saignements importants. Dans cette situation le traitement conservateur est possible si l’état hémodynamique maternel est stable. La prise en charge est identique à celle décrite précédemment.

Toutefois, si la prise en charge conservatrice semble séduisante, elle n’est pas dénuée d’une certaine morbidité maternelle: risque d’hémorragie secondaire, d’endométrite quelque fois sévère.

La procédure conservatrice peut être associée à des techniques adjuvantes telles que le méthotrexate, l’embolisation des artères utérines, les ligatures vasculaires.

C-Traitements adjuvants

    1-Embolisation

Le principe est d’occlure la lumière artérielle des vaisseaux à l’origine de l’hémorragie par injection en flux libre de différents matériels d’embolisation. Elle est indiquée uniquement si l’état hémodynamique de la patiente est stable. Actuellement l’embolisation est de plus en plus indiquée dans les cas d’hémorragie graves de la délivrance résistant au traitement médical, pour essayer d’éviter une hystérectomie aux patientes jeunes. Cette procédure a été utilisée pour la première fois en 1993 dans la prise en charge du placenta accreta. Son efficacité dans les hémorragies de la délivrance est évaluée entre 70 et 100%(26). En revanche dans les cas de placenta accreta, l’embolisation serait moins performante (27) avec un échec d’embolisation dans 50 % des cas.

Cependant cette procédure peut être réalisée de manière préventive lors d’un diagnostic anténatal de placenta accreta : les sondes d’embolisation sont montées avant la césarienne ou l’accouchement voie basse et l’embolisation ne se fera que si nécessaire et après extraction foetale.

Mais, le plus souvent celle-ci est principalement effectuée en urgence après discussion entre l’obstétricien, l’anesthésiste et le radiologue.

Cette technique a l’avantage d’être non invasive, reproductible, et permet de conserver la fertilité ultérieure des patientes.

    2-Ligatures vasculaires

La ligature vasculaire artérielle est l’une des techniques avec l’hystérectomie d’hémostase constituant le traitement de référence des hémorragies sévères de la délivrance. Les ligatures vasculaires comprennent:

    -la ligature des artères utérines.

    -la ligature des artères hypogastriques.

    -la triple ligature de Tsirulnikov: ligature du ligament rond, des utéroovariens et des artères utérines.

Cette technique reste indiquée face à une hémorragie non contrôlée quand l’état

hémodynamique de la patiente est instable ou en cas d’échec d’embolisation. La ligature vasculaire reste très efficace dans les cas d’hémorragie grave liée à une atonie utérine. Mais tout comme l’embolisation son efficacité est moindre en cas d’anomalie d’insertion placentaire qui reste la principale cause d’échec. 

    3- Le methotrexate

Utilisé en obstétrique, dans le traitement des grossesses extra utérines, le méthotrexate est un produit antimitotique permettant l’arrêt de la division des cellules trophoblastiques et certains auteurs ont proposé l’utilisation de méthotrexate dans le but d’accélérer la nécrose du tissu placentaire laissé in situ en cas de traitement conservateur. Cependant, l’utilisation n’est possible que si l’état hémodynamique de la patiente

est stable et que le pronostic maternel n’est pas mis en jeu.  Son utilisation dans ce type d’indication est discutée étant donné qu’il n’existe pas de certitude quant à son efficacité. De plus, le méthotrexate expose à une toxicité non négligeable.

D-Surveillance post-partum

    1-Lorsque le traitement conservateur a connu une issue favorable,

les patientes bénéficient d’une surveillance échographique afin de s’assurer de l’involution placentaire. Un suivi clinique et biologique est mis en place, notamment par une numération globulaire avec quantification des leucocytes, un dosage de la protéine C et un prélèvement vaginal afin de détecter précocement la survenue d’une complication infectieuse.

    2-En cas de traitement radical

        a-Si attitude extirpative

Cette attitude dite «extirpative» consiste à obtenir une vacuité utérine complète coûte que coûte en réalisant des révisions utérines forcées. Ces tentatives répétées engendrent le plus souvent des hémorragies de la délivrance graves, non contrôlées mettant en échec les moyens médicamenteux tels que l’ocytocine et sulprostone et toutes autres techniques hémostatiques non radicales : embolisation, ligatures vasculaires. Cette méthode qui a longtemps été pratiquée doit être aujourd’hui abandonnée car

elle majore le risque d’hémorragie sévère et comme le montrent certaines études, elle présente un taux élevé d’hystérectomies d’hémostase  associées  à une importante morbidité et mortalité maternelles.

        b-Si hysterectomie d’emblée

L’hystérectomie d’emblée totale ou subtotale est l’option qui permet d’éviter au maximum le risque d’hémorragie sévère. Il y a encore quelques années, la prise en charge de référence dans certaines

maternités en France était notamment de pratiquer une césarienne associée à une hystérectomie comme le recommande encore aujourd’hui l’American College of Obstetrics and Gynecology.

Actuellement cette stratégie est peu commune, néanmoins dans le cas d’un utérus multicicatriciel chez une patiente qui n’exprime aucun désir de grossesse ultérieure ou en cas de pathologie pouvant mettre en jeu le pronostic vital, la décision peut être discutée.

Celle-ci consiste à réaliser une hystérectomie après l’extraction foetale sans tentative de délivrance artificielle quand le caractère accreta du placenta est fortement suspecté en prénatal, ou en perpartum.

Dans le cas de placenta percreta avec atteinte vésicale l’hystérectomie est plus complexe et s’accompagne souvent de cystectomie partielle.

Cette stratégie permettrait probablement de réduire le risque d’hémorragie massive et donc la morbidité maternelle. Cependant les études les plus récentes montrent au final que l’hystérectomie présente une morbidité maternelle importante.

Néanmoins, quel que soit le choix thérapeutique décidé, l’objectif essentiel est de réduire la morbidité et la mortalité maternelles. Cela nécessite une prise en charge optimale des pertes sanguines massives que

peut engendrer le placenta accreta; qui est devenu la deuxième cause d’hémorragie grave de la délivrance ainsi que la première cause d’hystérectomie d’hémostase. Cette dernière devra être réalisée rapidement en cas d’échec des différents moyens hémostatiques ou d’emblée si l’hémorragie ne peut être contrôlée.

E-Prise en charge anesthésique

Une des principales complications dans la prise en charge des placentas accreta est  l’hémorragie de la délivrance qui se définit par une perte sanguine de plus de 500 ml dans les 24 heures qui suivent l’accouchement.  L’objectif de cette prise en charge est d’évaluer rapidement l’abondance des pertessanguines, ainsi que les répercussions sur l’état hémodynamique afin d’éviter l’étatde choc hémorragique.

    1-Préparation maternelle

Lorsqu’il y a une suspicion de placenta accreta en anténatal, cette prise en charge se déroulera avant la césarienne. Lors d’un diagnostic per-opératoire, il faudra compléter la prise en charge déjà instaurée.

Tout d’abord il faut vérifier la présence d’une carte de groupe et de recherche d’agglutinines irrégulières (RAI) de moins de 3 jours. La mise en place de deux voies d’abord vasculaire avec des cathéters courts de calibre 14 ou 16 gauge est indispensable associées à une perfusion rapide de 1 à 2 litres de solutés cristalloïdes (Ringer-lactate) ou de colloïdes (Plasmion) pour compenser la perte volumique.

Certains anesthésistes proposent la mise en place d’une voie veineuse centrale. Afin de prévenir le risque transfusionnel une commande immédiate de 2 à 3 culots globulaire  iso groupe, iso rhésus doit être faite ainsi qu’une mise à disposition de 4 à 6 culots supplémentaires au centre de transfusion sanguine.

Une surélévation des jambes et positionnement de la patiente en Trendelenburgmodéré peut être effectué si nécessaire pour diminuer le saignement et favoriser le retour veineux. Une oxygénothérapie au masque est réalisée si besoin ainsi que lapoursuite du traitement pharmacologique tels que les ocytociques ou la sulprostone.

Dans le cas d’un diagnostic anténatal du placenta accreta; certains auteurs proposent de réaliser si nécessaire une auto transfusion en per opératoire par «cell saver».

     2-Surveillance clinique et biologique

Une surveillance clinique est nécessaire : tension artérielle, fréquence cardiaque, saturation en oxygène et diurèse horaire; ainsi que biologique avec un bilan prélevé en urgence comprenant:  une numération de formule sanguine (NFS) et une numération plaquettaire, un dosage du fibrinogène, un dosage des cofacteurs du complexe prothrombinique (II, V, VII, X), les D-dimères, les produits de dégradation de la fibrine, le taux de prothrombine (TP), le temps de céphaline activée (TCA), le temps de lyse des euglobulines.

Une correction des troubles de l’hémostase est indispensable afin de prévenir le risque principal de l’hémorragie de la délivrance qui est le syndrome de défibrination.

En ce qui concerne le type d’analgésie, selon les recommandations pour la pratique clinique du Collège National des Obstétriciens Gynécologues Français,  lors du diagnostic anténatal du placenta accreta une césarienne sous anesthésie générale doit être réalisée.

V-Pronostic maternel

A-Mortalité maternelle

L’hémorragie de la délivrance constitue la première cause de mortalité maternelle en France et le placenta accreta représente l’une des causes de ces hémorragiessévères. 

Le diagnostic anténatal et l’évolution des traitements dans les cas de placenta accreta vont permettre d’organiser une prise en charge optimale avec une équipe pluridisciplinaire expérimentée, capable d’agir avec rapidité face à une hémorragie qui peut être cataclysmique.

B-Morbidité maternelle

La morbidité maternelle reste importante que le traitement soit conservateur ou non. Les complications liées au placenta accreta sont nombreuses.

    1-Complications hémorragiques

La complication principale est donc l’hémorragie de la délivrance. Des cas de rupture utérine ont été décrits, de même, les perturbations de l’hémostase à type de coagulation intra-vasculaire disséminée (CIVD) témoignent de l’intensité de l’hémorragie.

    2-Complications secondaires à la prise en charge

Dans le cas d’une prise en charge conservatrice les complications infectieuses telles que l’endomérite sembleraient plus importantes que dans le traitement radical.

D’autres complications peuvent être liées aux différents traitements tels que  l’inversion utérine, les complications liées aux transfusions,  ou les complications liées à la chirurgie notamment au niveau des organes de voisinnage..

C- Pronostic foetal

La morbidité・et la mortalité・néonatale sont souvent secondaires ・à la prématurité.

D-Fertilité ultérieure

Des cas de grossesses après mise en place d’un traitement conservateur ont été décrits dans la littérature. Ils sont caractérisés par un risque élevé de récidive de placenta accreta.  Ces études ont pu mettre en évidence l’efficacité du traitement conservateur en ce qui concerne la préservation de la fertilité ultérieure.